"Impressions sur le patrimoine archéologique de la Martinique" 

Sébastien Perrot-Minnot , Docteur en archéologie de l’Université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne)
Chercheur associé à l’EA 929, AIHP – GEODE (Archéologie Industrielle, Histoire, Patrimoine - Géographie, Développement, Environnement de la Caraïbe), Université des Antilles et de la Guyane

Photos :Sébastien Perrot-Minnot

Source - http://www.archeologia.be/actualite44.html

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Carte de la Martinique.  Source : GEODE Caraïbe, Université des Antilles et de la Guyane.

Les monuments et antiquités emblématiques

Dans A l’est d’Eden (1952), John Steinbeck exprimait la fascination qu’exerçaient sur lui les histoires suggérées par les noms de lieux. A ce sujet, on conviendra que le nom de « Fort-de-France » constitue une puissante invitation à voyager dans le passé. De fait, le visiteur découvrant la capitale martiniquaise, en arrivant par la mer –comme ce fut mon cas en 2007- ne peut manquer d’être intrigué par l’imposant Fort Saint-Louis.

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Le Fort Saint-Louis.

Les fortifications de Fort-de-France, ville fondée sous le nom de Fort-Royal en 1669, et de Saint-Pierre, première capitale de la Martinique française, établie en 1635, figurent parmi les monuments historiques les plus emblématiques de l’île. Mais Saint-Pierre représente, dans son ensemble, une « ville-monument », au passé légendaire. Ses ruines, au milieu desquelles se distinguent celles du théâtre, de l’église du fort, de la maison coloniale de santé et du bureau du génie et des ponts et chaussées, nous parlent de la splendeur du Petit Paris des Antilles, et du pouvoir de destruction de la Montagne Pelée, qui supplicia l’agglomération un certain 8 mai 1902.

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Ruines du théâtre, à Saint-Pierre.

A la suite de cette éruption, le professeur Alfred Lacroix installa un modeste observatoire volcanologique –une simple case- au sommet du Morne des Cadets, à Fonds-Saint-Denis. Mais les menaces permanentes du volcan, et les progrès de la science, motivèrent la construction d'un observatoire plus fonctionnel et durable, dans les années 1930. Le chantier dura trois longues années, les matériaux étant laborieusement acheminés à dos de mulet.

Capitale politique de la Martinique depuis 1692, Fort-de-France devint aussi la capitale économique de l’île, après la ruine de Saint-Pierre. Son centre-ville renferme plusieurs majestueux bâtiments publics, construits dans un style néo-classique, tels que l’ancien Hôtel de Ville (1884-1901),  devenu le Théâtre Aimé Césaire, l’ancien Palais de Justice (1906-1907), qui abrite aujourd’hui l’espace culturel Camille Darsières, et l’ancien Hôtel du Gouvernement, devenu celui de la Préfecture (1923-1928). 

On peut admirer en outre, dans le secteur, la Bibliothèque Schoelcher, construite en France entre 1886 et 1887, exposée dans le Jardin des Tuileries à Paris, et démontée pour être expédiée en Martinique. Son architecte, Pierre-Henri Picq, fut aussi celui de la cathédrale Saint-Louis de Fort-de-France, dont le premier chantier a commencé en 1891, pour s’achever 4 ans plus tard. La Bibliothèque Schoelcher et la cathédrale Saint-Louis reflètent l’essor de l’utilisation du fer dans l’architecture, lors de la Seconde Révolution Industrielle.

A Fort-de-France, à Saint-Pierre, mais aussi dans les bourgs de la Martinique, de nombreuses églises cathédrales et paroissiales font l’objet d’une valorisation particulière. A Case-Pilote, l’église Notre-Dame de l’Assomption est réputée être la plus ancienne de l’île ; elle aurait été érigée dans les années 1640, avant d’être remaniée, à maintes reprises. Le style baroque qui caractérise sa façade se retrouve, à quelques kilomètres de là, sur l’église Saint-Jacques du Carbet, dont la construction remonte au XVIIIème siècle. Mais l’église Saint-Jacques constitue, par ailleurs, un exemple fameux du style néo-classique, en Martinique ; à l’intérieur, ses voûtes lambrissées, ses colonnes cannelées et son chœur sont appréciés des visiteurs.

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L’église Notre-Dame de l’Assomption, à Case-Pilote.

Si l’on aborde, à présent, les zones rurales (ou anciennement rurales), on constate que le patrimoine historique qui y est le plus activement mis en valeur appartient, surtout, à des habitations sucrières de la période coloniale. Certaines d’entre elles ne sont plus, depuis longtemps, le théâtre d’activités agricoles ou industrielles ; c’est le cas du domaine de la Pagerie (Les Trois-Ilets), qui vit naître, en 1763, Joséphine de Beauharnais, et de l’habitation La Caravelle, bâtie au XVIIIème siècle, et populairement connue sous le nom de « Château Dubuc » (La Trinité). D’autres exploitations, tout en mettant en lumière leur riche passé, se consacrent toujours à la production de rhum. Celles d’où sortent les prestigieux rhums Saint-James et Clément proposent à leurs visiteurs de parcourir de belles maisons de maître, converties en musées. 

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Le « Château Dubuc ».

Mais en Martinique, toutes les maisons célèbres n’ont pas ce rang « aristocratique » : au pied du Morne Larcher, et à quelques mètres d’un rivage tourmenté, une petite case colorée attire les touristes. Il s’agit de la « Maison du Bagnard », construite en 1960 par un ancien pensionnaire du bagne de Cayenne, en Guyane : le sculpteur martiniquais Médard Aribot.

Au sein ou en dehors des sites historiques, le patrimoine colonial et moderne de la Martinique s’expose dans un grand nombre de musées. J’ai mentionné, plus haut, ceux des habitations Saint James et Clément ; je signalerai, en outre, le Musée de la Pagerie, le Musée régional d’histoire de Fort-de-France, le Musée Franck A. Perret de Saint-Pierre, la Maison de la Canne (Les Trois-Ilets) et l’Ecomusée de Martinique (Rivière-Pilote). 

Le legs préeuropéen est beaucoup plus discret, malgré les quelque 1600 ans de présence avérée de l’homme, en Martinique, avant l’arrivée de Christophe Colomb. Des objets de cette époque, de pierre, de céramique et d’os sont présentés au Musée départemental d’archéologie précolombienne et de préhistoire (Fort-de-France) ainsi qu’à l’Ecomusée de Martinique ; les pièces les plus fameuses de ces collections sont, indéniablement, les vases décorés de peintures, d’incisions et de modelages (adornos). Mais le seul site précolombien à être signalé sur les cartes touristiques et sur le bord des routes est celui de la forêt de Montravail, dans la commune de Sainte-Luce. On peut y voir des roches gravées d’énigmatiques visages humains, très stylisés. Cet art rupestre pourrait dater de la phase Saladoïde Cedrosan Moyen/Récent (fin du IVème – début du VIIIème siècle après J.-C.). Un ambitieux projet, conçu par la Mairie de Sainte-Luce, vise actuellement à promouvoir le site.

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La roche gravée principale, sur le site de la forêt de Montravail. 

PART.2