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Torquay 2 (G-B) : Le Cro Magnon britannique à 42.000 ans contesté

Le Cro Magnon britannique à 42.000 ans contesté

Sylvestre Huet 

Source -http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2011/11/le-cro-magnon-britannique-%C3%A0-42000-ans-contest%C3%A9.html 

Cro Magnon a t-il vraiment colonisé les îles britanniques dès il y a 42.000 ans ? C'est ce qu'affirmait un article paru dans Nature le 3 novembre dernier .

Cette recherche prend place dans un sujet très "chaud" en préhistoire : la recherche des dates et conditions dans lesquelles les hommes anatomiquement modernes sont parvenus en Europe et les relations qu'ils ont pu y entretenir, ou pas, avec les derniers néandertaliens.

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Mais un préhistorien de Toulouse, Nicolas Teyssandier, conteste cette nouvelle datation pour le moins extraordinaire car elle place Cro Magnon - le nom populaire de "l'homme anatomiquement moderne" des scientifiques - dans les îles britanniques à une date si ancienne... qu'elle serait la plus ancienne pour notre ancêtre direct pour toute l'Europe !

Or, pour Nicolas Teyssandier, les conditions de la fouille réalisée en 1927 dans une grotte du Kent ne permettent pas de dater le morceau de machoire humaine qui y ont été récupérées de manière fiable avec la méthode utilisée par l'équipe qui signe l'article dans Nature. En effet, comme le précise l'article la "redatation" opérée récemment n'est pas directe comme celle réalisée en 1989 et qui donnait un âge d'environ 35.000 ans. La nouvelle méthode, dite d'ultrafiltration, n'a pas pu être effectuée sur le maxillaire lui même mais sur des os d'animaux situé dessous et au-dessus dans les couches stratigraphiques. L'ennui, explique  Nicolas Teysssandier, c'est cette stratigraphie semble avoir été bousculée : «les relations stratigraphiques entre les os animaux datés et le vestige humain ne sont pas assurées. On note en outre que si, globalement, les dates obtenues sont dans l’ordre de l’empilement stratigraphique des échantillons datés, quelques inversions peuvent être constatées avec, par exemple, une date de 35 150 +/-330 BP pour un échantillon situé sous le maxillaire pour une date de 37 200 +/-55O à partir d’un échantillon situé au dessus

Voici ce que j'écrivais  : «Le premier article, signé de plusieurs grosses pointures de l'archéologie (Chris Stringer, Erik Trinkaus) a repris un morceau de machoire et des dents découverts en 1927 dans la Caverne de Kent (Torquay). Elles avaient été datées en 1989 a environ 35.000 ans. Une nouvelle analyse, plus précise grace à une ultrafiltration, les vieillit à environ 42.000 ans. En outre une analyse fine des morphologies montre que les dents sont plus "modernes" que néandertaliennes. Bilan : Cro-Magnon, venu du sud, avait déjà passé la Manche (à l'époque un simple fleuve car les calottes de l'ère glaciaire avaient considérablement abaissé le niveau marin).

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 Un tableau publié dans l'article qui montre le déplacement des dates de la machoire de la grotte du Kent, en bas.» 

Voici le texte de critique de cet article que Nicolas Teyssandier m'a fait parvenir :

«En cherchant toujours à repousser la chronologie de l’arrivée de l’Homme anatomiquement moderne (Homo sapiens sapiens) sur le continent européen, on finit par tomber dans des écueils qui devraient désormais, en fonction des avancées méthodologiques récentes, être évités. Dans la récente livraison de Nature, revue scientifique à l’impact mondial, nos collègues T. Higham et al affirment à la fois :

  • une présence particulièrement ancienne de HSS au Nord-Ouest de l’Europe dès 44-42 kyr Cal BP, sur la base de restes humain incomplets découverts dans les années 1920 en Grande-Bretagne. Ceci en ferait l’Homme moderne le plus ancien connu à ce jour sur la totalité du continent européen ;
  • Cet humain serait, dès cette époque, l’auteur de la culture dite Aurignacien, connue pour s’être diffusée très largement sur le continent eurasiatique et toujours associée, quand des restes humains sont préservés dans les sites archéologiques, à l’Homme moderne ; on serait ainsi en présence d’une preuve de la dispersion rapide des premiers hommes modernes sur le continent européen ;
  • A ce titre, l’Homme moderne et l’Aurignacien seraient contemporains des derniers néandertaliens en Europe qui produiraient eux, au même moment, des cultures différentes ;
  • Sur un plan anthopologique, l’étude des dents montre que 13 traits concordent avec ceux connus pour les Hommes modernes, 3 sont davantage de morphologie néandertalienne et 7 ambigus. Il est ainsi possible que ces traits archaïques représentent soit une connaissance tronquée de la morphologie des Hommes modernes de cette époque, soit des traits partagés avec les néandertaliens voir l’indication d’échanges géniques entre les deux types humains. 

Plusieurs évidences doivent cependant être rappelées afin de bien mesurer la portée réelle des résultats ici publiés. D’abord, le contexte archéologique du site de Kent’s cavern, fouillé dans les années 1920, à une époque où l’archéologie de la préhistoire n’interrogeait en aucun cas les vestiges et les gisements archéologiques comme nous le faisons aujourd’hui.

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L’enregistrement précis de la position des vestiges archéologiques n’était par exemple pas une pratique courante à cette époque. Ces données sont pourtant essentielles lorsqu’il s’agit, près d’un siècle après leur découverte, de recontextualiser une découverte, à savoir dans le cas présent un fragment de maxillaire humain. Ce dernier a fait l’objet en 1989 d’une datation directe par la technique du Carbone 14 situant l’âge de ce vestige entre 29.100 et 32.700 avant le présent, soit entre 37.850 et 33.600 en chronologie calibrée (révisée).

Toutefois, en se basant sur le fait que des techniques modernes de traitement des échantillons datés dites par ultrafiltration permettent de mieux contrôler des pollutions modernes des échantillons et, en général, vieillissent l’âge des datations effectuées, les auteurs ont essayé de redater ce vestige humain. Or, s’il n’a pas été possible d’extraire suffisamment de collagène de qualité adéquate pour dater directement le maxillaire, les auteurs présentent de nouvelles dates effectuées à partir d’ossements animaux non transformés par l’Homme découverts au dessus et en dessous du maxillaire.

Nous ne savons rien ici des conditions de mise en place des dépôts archéologiques dans une grotte à la stratigraphie complexe. Par conséquent, les relations stratigraphiques entre les os animaux datés et le vestige humain ne sont pas assurées. On note en outre que si, globalement, les dates obtenues sont dans l’ordre de l’empilement stratigraphique des échantillons datés, quelques inversions peuvent être constatées avec, par exemple, une date de 35.150 +/-330 BP pour un échantillon situé sous le maxillaire pour une date de 37.200 +/-55O à partir d’un échantillon situé au dessus.

On sait, en outre, que les dépôts où ce reste humain a été découvert ont subi des perturbations importantes. Les fragments d’outils en silex découverts à proximité du reste montrent ainsi des raccords étalés verticalement sur près d’un mètre, soit parce que les sédiments correspondent à des coulées de boues massives venant de l’extérieur de la grotte, soit qu’ils ont été affectés par des phénomènes pertubateurs (effet de solifluction ou de cryoturbation, perturbation par les mammifères fréquentant les grottes…).

Ainsi, tant que ce fossile humain ne sera pas daté directement, ce qui ne semble actuellement pas possible, il n’est pas scientifiquement correct de le situer précisément dans le temps et surtout, d’en faire le fossile humain d’Homme anatomiquement moderne le plus ancien en Europe.

D’autres interprétations, non moins importantes, ne nous semblent pas plus assurées, notamment celle associant ce reste humain fragmentaire à l’Aurignacien, première entité culturelle paneuropéénne du Paléolithique supérieur. Ce diagnostic repose sur la découverte, toujours dans les années 1920, de 2 fragments en pierre taillée qui ne permettent en aucun cas d’identifier la tradition technique à laquelle ils appartiennent.

Ces artefacts de pierre taillée ne sont pas significatifs sur un plan culturel et, de plus, ils ne sont pas clairement associés au vestige humain, comme nous le rappelle Damien Flas de l’université de Liège, spécialiste de la transition Paléolithique moyen-supérieur dans ces régions et qui a récemment réétudié les vestiges de Kent’s Cavern. Aucun argument ne permet donc de connecter ce vestige à un contexte culturel particulier. De plus, cette interprétation va à l’encontre de tout ce que l’on connaît en Europe du nord-ouest, à savoir une introduction relativement tardive de la culture aurignacienne, aux alentours de 32.000-31.000 BP en Grande-Bretagne par exemple.

Déduire de cette étude qu’elle assure en plus la contemporanéité des aurignaciens-modernes avec les derniers néandertaliens porteurs d’industries dites de transition constitue en ce sens un raisonnement circulaire tant que tous les doutes émis auparavant ne pourront être levés.

En préhistoire et évolution humaine, comme dans tous grands domaines scientifiques, les paradigmes sont amenés à se modifier au cours du temps, au fil de nouvelles découvertes ou d’avancées méthodologiques permettant d’arriver à de nouvelles conclusions. Nous ne sommes clairement pas ici dans ce cas de figure puisque les conclusions vont à l’encontre de tout ce qui est connu par ailleurs dans le nord-ouest de l’Europe sans que le contexte archéologique de ces découvertes anciennes ne soit suffisamment assuré pour valider ces recherches. Il n’est donc tout simplement pas possible d’affirmer la présence d’un Homme moderne de culture aurignacienne en Grande-Bretagne autour de 42.000 BP.»

Cette critique est certes très vive, mais l'importance donnée par Nature à cette découverte comme ses implications méritent un débat scientifique ouvert.

Il faut noter, en revanche, que l'autre datation publiée dans la même livraison de Nature, montre un Cro Magnon très ancien, vers 43.000 et 45.000 en Italie. Une datation fondée sur les reconstructions en 3D, permises par des microtomographies en rayons X des dents de la Grottte du Cavallo, comparées à des dents néandertaliennes et modernes. Ce qui a montré qu'elles appartenaient à des Hommes modernes. Et sur la datation au carbone 14 de coquilles perforées des mêmes niveaux archéologiques que les dents, remontant à 43.000 à 45.000 ans.

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