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TCHARE (Togo):. Les derniers forgerons Kabyés

 

Les incroyables paysans de pierres

Eric Fcd

Source  http://www.lepost.fr/article/2010/12/30/2355228_les-incroyables-paysans-de-pierres.html#xtor=AL-235

 

 

C'est grâce à un voyage dans le temps, à un bond prodigieux de plusieurs milliers d'années dans le passé que vous pourrez découvrir le travail des derniers forgerons Kabyés.

Kara est la capitale du nord Togo, ville africaine posée au milieu de la savane à 450 km de Lomé. Il y fait chaud et sec, c'est le début du climat sahélien. Quelques kilomètres plus loin, nous quittons la route goudronnée pour une piste en latérite qui mène dans les collines qui abritent le village de Tcharé.

Un vieux chien traverse la piste en claudiquant avant de s'affaler à l'ombre d'un baobab. Le village semble désert, mais à peine avons nous garé notre véhicule que des enfants surgissent des cases et nous entourent en riant. Nous leur demandons ou se trouve le maître forgeron et aussitôt ils nous entraînent bruyamment à travers le village.

Un homme d'une quarantaine d'années nous accueille à l'entrée de sa forge et après quelque hésitation, accepte de nous montrer comment il travaille le fer et fabrique de nombreux objets usuels qui seront revendus sur les marchés de la région et dans les pays voisins. 


L'atelier du maître forgeron Ayeva est plus que sommaire puisqu'il s'agit d'une case de 15 mètres carrés dont le sol est en terre battue. Les enfants apportent un banc sur lequel nous prenons place. Après les salutations d'usages et les échanges de politesses, le maître forgeron commence sa leçon sur le travail des "paysans de pierres".

La forge est un foyer protégé sur trois côtés par un muret en terre d'un mètre de hauteur. Tout en bas du muret exposé au nord, s'ouvre un orifice dans lequel prend place un bois creux relié à deux soufflets en peau de chèvre. Une femme actionne les soufflets pour faire rougir le charbon de bois. L'enclume est une pierre d'un mètre cinquante de long qui a été enterrée dans le sol. Le marteau est un granit de 15 kilogrammes.

 


Le Maître Ayéva tient sa technique de ses parents qui ,avant lui, la tenait de leurs parents et ainsi de suite. Depuis des millénaires le travail du forgeron Kabyé est resté le même, utilisant une méthode de forge identique à celle utilisée en Europe durant l'antiquité.

Dans le foyer de forge, Une lamelle de fer qui deviendra une houe est posée à même sol sur un lit de charbons de bois que les soufflets font rougir. L'air projette des milliers de flammèches qui dansent dans l'air avant de disparaître. Trois personnes font tourner la forge : le responsable des soufflets, le "frappeur", un apprenti forgeron qui donne la forme au métal en le frappant avec une pierre et le maître forgeron qui surveille la cuisson du métal.

 

 


S'il n'y a pas d'âge pour être responsable des soufflets, en revanche, il faut avoir au moins 18 ans pour devenir apprenti et pouvoir frapper le métal. En effet, le poids de la pierre et la difficulté de la tâche oblige le corps a être formé et suffisamment puissant pour ce labeur très pénible.

Au bout d'une heure, la houe est terminée et pourra être vendue sur le marché de Kara. Maître Ayeva et son équipe en réalisent sept par jour qui sont vendues entre 7,5 € et 12 € selon la taille. Le forgeron fabrique également des couteaux, des machettes et des instruments de musique pour les cérémonies. Jusqu'à présent le fer venait des mines de Bandjéli à une centaine de kilomètres de Tcharé, mais depuis quelques années le filon s'épuise et c'est désormais la récupération des carcasses de véhicules qui fournit la matière première.

Malgré un labeur difficile, Maître Ayéva est un homme heureux et riche. Son travail lui rapporte beaucoup d'argent et il a pu se construire trois maisons dans le village. Sa mère est potière et sa femme est vendeuse sur le marché. La famille, avec ses six enfants, vit très confortablement et les envieux sont nombreux. Les forgerons traditionnels disparaissent petit à petit mais les Maîtres refusent de partager leur savoir de peur que la concurrence ne s'empare de leur clientère.

La houe a été gravée à mon prénom et m'a été offerte. L'objet est primitif mais a du charme. Je m'apprête à remercier mon hôte quand une sonnerie anachronique retentit dans la forge. Maître Ayéva farfouille un instant dans la poche de son short et sort un téléphone portable qu'il porte à son oreille. C'est sur cette vision étonnante que nous quittons un monde inchangée depuis des millénaires...ou presque !