Syrie : La plus ancienne frontière ?

 

Syrie : La plus ancienne frontière ?

Nicolas Constans 

Source - http://www.larecherche.fr/content/actualite-archeologie/article?id=30420

 

Un mur de 220 kilomètres de long et de plus de 4 000 ans découvert en Syrie serait la plus ancienne délimitation connue entre deux entités politiques.

La grande muraille de Chine, édifiée à partir de 700 av. J.C., ou le mur de l’empereur romain Hadrien, au nord de l’Angleterre, sont les exemples les plus connus de frontières antiques. Mais le besoin de délimiter un vaste territoire est probablement bien plus ancien. Il pourrait remonter aux premières civilisations de Mésopotamie et du Levant. Jusqu’ici, celles-ci n’avaient délivré que très peu d’informations sur les limites de leurs royaumes. Mais aujourd’hui une équipe franco-syrienne vient d’identifier en Syrie un mur de plus de 220 kilomètres de long, qui aurait servi de frontière à l’un d’eux [1] .

 

Long de 220 kilomètres, ce mur en pierres sèches parcourt la steppe syrienne du nord au sud. il aurait été édifié entre 2400 et 2200 av. J.-C. pour marquer la limite entre des agriculteurs sédentaires et des éleveurs nomades. © Bernard Geyer

Ce mur en arc de cercle parcourt la steppe syrienne du nord au sud. Il relie les ruines d’une forteresse à l’une des lignes de crête de l’Anti-Liban, une chaîne montagneuse. Le type de céramiques trouvées dans cette forteresse, ainsi qu’en certains points du mur suggère qu’il a été utilisé entre 2400 et 2000 av. J.-C. Large d’environ un mètre, c’est un mur de pierres sèches, trouvées sur place tout au long de son parcours. Certaines d’entre elles, sont peu durables, comme le gypse. Tout cela suggère que le mur avait un caractère plus symbolique que défensif.

Grâce à des prospections tout autour du mur, les archéologues ont établi qu’il avait sans doute séparé deux types de populations : des agriculteurs sédentaires à l’ouest et des éleveurs nomades à l’est. À l’époque en effet, la zone à l’est du mur est occupée par des steppes arides impropres à la culture, mais permettant la pâture des animaux. Les sites archéologiques y sont peu fréquents, petits, et occupés de manière intermittente. À l’ouest en revanche, une grande partie des terres sont cultivables. Les sites archéologiques y sont beaucoup plus vastes, parfois protégés par des enceintes et souvent attenants à des zones cultivables.

Voisins nomades

Alors, qui l’a fait construire ? Un ouvrage d’une telle ampleur est probablement dû à un royaume important. L’une des hypothèses est qu’il s’agisse de la frontière orientale du royaume syrien d’Ebla. Cette cité, puissante et prospère à l’époque, est bien connue grâce à ses archives, plus de 15 000 tablettes recouvertes d’inscriptions cunéiformes.
« Certains textes évoquent justement un peuple présent dans la steppe, les Ib`al,
explique Bertrand Lafont, du laboratoire archéologies et sciences de l’Antiquité, à Nanterre. Ils pourraient être ces voisins nomades avec lesquels Ebla souhaitait marquer sa frontière. »

Surestimation

« Mais Ebla est presque en périphérie de la zone couverte par le mur, indique le codirecteur de la mission, Bertrand Geyer, du laboratoire Archéorient de Lyon. Il y a des villes moins bien connues mais plus centrales, comme Hama ou Homs. La documentation sur Ebla étant très abondante, nous surestimons peut-être un peu son importance. » Des réponses viendront sans doute de fouilles des sites situés près du mur, ou aux points où les anciennes routes le franchissaient. En attendant d’autres découvertes : « Les ruines de mur sont très fréquentes dans ces régions de steppe, explique Bertrand Geyer. Si on prend la peine de les reporter systématiquement sur une carte, peut-être verra-t-on apparaître d’autres frontières. »

[1] B. Geyer et al., Paléorient, 36.2, 57, 2011.