Simon Cherner
Source - https://www.lefigaro.fr/culture/une-grotte-volcanique-islandaise-abritait-un-site-rituel-viking-lie-au-ragnaroek-20210501
L'entrée de la grotte de Surtshellir. Ferðamálastofa/Icelandic Tourist Board
Les dernières fouilles menées à la caverne de Surtshellir, en bordure des Hautes Terres, jettent la lumière sur les activités religieuses menées, au Xe siècle, dans les pénombres enfouies d'un tunnel de lave. La plus grande grotte du pays était un point de rencontre entre deux mondes...
Islande, fin du VIIIe - début du IXe siècle. Un volcan gronde dans la région de Hallmundarhraun, dans la partie occidentale de l'île. Une des plus importantes éruptions médiévales du nord de l'Europe, l'événement projette hors de la chambre magmatique un torrent de lave et d'épaisses volutes d'une fumée menaçante. Spectateurs de ce violent phénomène, des colons scandinaves contemplent, impuissants, la dévastation qui emporte peut-être dans ses déchaînements quelques exploitations. Fraîchement implantés sur l'île (depuis une cinquantaine d'années), les Vikings impriment dans leur mémoire ce cataclysme. Plusieurs années après l'éruption, plusieurs d'entre eux s'aventurent au cœur du site et pénètrent dans l'un des tunnels creusés par le passage de la lave. Quelque 1100 années plus tard, une équipe d'archéologues pense avoir enfin compris, après la fouille méticuleuse de la grotte en question, ce que les premiers Vikings islandais pouvaient bien chercher au milieu des ténébreux souterrains volcaniques de l'île.
«Les conséquences de cette éruption ont dû être inquiétantes, en plus de mettre en danger la survie des colons nouvellement arrivés en Islande», ont affirmé trois chercheurs de l'université Brown (États-Unis), de l'université d'Oslo (Norvège) et du musée national d'Islande. À l'occasion de la publication, dans le Journal of Archaeological Science de février, de leur étude de la grotte investie par les Vikings après l'éruption, les scientifiques ont pu mettre en évidence le caractère singulier des activités qui s'y sont déroulées. Connu depuis le XVIIIe siècle au moins, le site archéologique de Surtshellir est situé dix mètres sous le champ de lave refroidi de Hallmundarhraun, près de trois cents mètres à l'intérieur de la grotte ; aussi discret que reculé, il a longtemps été considéré comme un refuge de bandits ou de proscrits. Les vestiges qui y ont été retrouvés montrent cependant qu'il n'en est rien et que, loin d'être un lieu de vie marginal, ces galeries naturelles formaient en réalité un point de rencontre entre deux mondes.
L'espace en forme de navire scandinave, à l'intérieur de la grotte islandaise de Surtshellir. Kevin P. Smith
Jadis condamnée par un mur de pierre d'une hauteur d'au moins quatre mètres, l'un des plus massifs de l'Islande pré-chrétienne, la partie de la grotte de Surtshellir visitée par les Vikings a été divisée en deux secteurs distincts. Surnommé Beinahellir («la grotte des os»), le premier est ponctué de sept piles d'ossements d'animaux domestiques sacrifiés - moutons, bœufs, chevaux, cochons … -, dont une partie avait été consumée par les flammes à l'intérieur même de la cavité. Le second secteur, plus profond, a été appelé Vígishellir («la grotte forteresse»), en raison d'un enclos en pierre sèche qui s'y trouve ainsi que pour la présence du vestige le plus connu de la grotte, la silhouette oblongue d'un navire délimitée par une rangée de pierres . Très apprécié - et malmené - par les touristes, ce «bateau de pierre» n'a laissé que peu d'indices à la disposition des archéologues, mais semble avoir joué un rôle central dans la fonction première du site.
Conjurer la fin du monde
Le reste de la grotte, moins curieux aux yeux des visiteurs contemporains, a en revanche livré quantité de matériel et d'informations. Parmi les découvertes les plus étonnantes, les archéologues ont retrouvé 63 perles importées dans l'île, dont trois provenaient de la région de l'Irak actuel, ainsi qu'une petite collection de poids - dont l'un en forme de croix chrétienne - qui constituent les objets les plus récents du site. Mieux encore, des traces d'orpiment turc ont également été détectées ; un minerai aussi rare que précieux réservé aux plus riches individus de l'époque. «En trouver à l'intérieur de cette grotte a été un grand choc», a témoigné pour Live Science l'anthropologue américain Kevin Smith, l'un des trois signataires de l'étude. Si l'occupation du site n'a duré que quelques générations, pendant près de 80 à 120 ans environ, celle-ci a de toute évidence fait l'objet d'une attention sérieuse au cours du Xe siècle. Mais de quoi s'agissait-il exactement ? Et quel rapport avec l'éruption majeure qui secoua cette région de l'Islande quelques années avant la création de ce site souterrain ?
D'après les chercheurs impliqués dans l'étude du lieu, «il semble indéniable que le site et son mobilier sont le produit d'une réponse rituelle à cet événement volcanique cataclysmique». D'après leur reconstitution des événements, les Vikings - terrifiés par le souvenir de la catastrophe - auraient transformé la caverne en un espace de conjuration du Ragnarök, de la fin des temps, dont ils pensaient avoir vu un prélude. Pour autant, la grotte de Surtshellir n'était pas non plus un lieu de culte dédié à Surt, le géant de feu destructeur qui tient un rôle central dans le déroulement du Ragnarök, mais - au contraire - un site censé le contenir et, par extension, prévenir la fin du monde.
Quant au caractère souterrain du site, il s'agissait d'une démarche de rapprochement avec le domaine réservé de la divinité, un point d'interface, situé - en l'occurrence - au plus près des flammes du domaine chthonien de Muspelheim, le monde de Surt. Enfin, l'essor du christianisme, dont témoigne le poids cruciforme retrouvé dans la grotte, est vraisemblablement à l'origine de l'abandon du site aux alentours de l'An Mil. Le souvenir infernal de Surtshellir, en revanche, ne s'est jamais vraiment éteint dans la région, le lieu restant associé jusqu'au XIXe siècle par les populations désormais chrétiennes de l'île à «l'endroit où Satan émergerait le jour du Jugement Dernier». Il est vrai qu'on trouvera difficilement de meilleur théâtre pour la fin du monde que les paysages magnifiquement désolés de l'Islande, serrés entre les tumultes de la mer du Nord, les caprices du feu volcanique et les rudesses du froid polaire.