Source - http://www.letelegramme.fr/bretagne/quiberon-une-epave-tres-convoitee-22-04-2014-10134770.php
Depuis 250 ans, par 23 mètres de fond en baie de Quiberon, gît l'épave du Thésée. Un joyau de la flotte de Louis XV coulé par les Anglais lors de la bataille des Cardinaux, et quasiment intact, qu'une équipe de passionnés inspecte. Selon les archéologues, tout serait intact, en dehors de la mâture : les corps des 650 marins, la vaisselle, l'armement...Le milieu de conservation est en effet optimal: froid, sans lumière et anaérobie.
"C'est une épave extraordinaire, un bateau flambant neuf coulé sans avoir subi le feu de l'ennemi, et protégé par une épaisse couche de vase", témoigne Jean-Michel Keroullé, président de la Société d'archéologie maritime du Morbihan, évoquant un "Graal de l'archéologie sous-marine française".
Des plongées exploratoires menées ces deux dernières semaines sous l'autorité du ministère de la Culture ont renforcé les chercheurs dans leur conviction que
l'épave, localisée en 2009, à une vingtaine de mètres de profondeur, à 6 milles au nord-est de l'île de Hoedic (Morbihan), dans la baie de Quiberon, est bien celle du Thésée.
20 novembre 1759, en baie de Quiberon, à six milles nautiques d'Hoedic, la célèbre bataille des Cardinaux fait rage entre les flottes française et anglaise. Le roi Louis XV rêve de débarquement sur les côtes écossaises. Placée sous les ordres de l'amiral Conflans, la flotte française avait quitté, huit jours plus tôt, la rade de Brest dans des conditions météo très difficiles. Très rapidement, les navires britanniques, plus mobiles et plus expérimentés, prennent l'avantage. Pour la marine française, le combat tourne au désastre.
Bataille des Cardinaux.Richard Patton (1771-1791). Au premier plan le vaisseau français leThésée en train de sombrer.
Fatale manoeuvre
Parmi la vingtaine de navires de la flotte française figure le Thésée, un 74 canons, sorti des arsenaux de Brest en 1757. Ce qui se faisait de mieux à l'époque. L'équivalent de nos frégates d'aujourd'hui. Mais le vaisseau, commandé par le capitaine Guy-François Kersaint, n'aura même pas l'occasion de combattre. En virant de bord pour aller soutenir l'arrière-garde en détresse, il sombre corps et biens avec ses 650 hommes d'équipage en quelques minutes. Une manoeuvre fatale : les sabords étaient restés ouverts.
"Sur les 650 marins à bord, seuls une vingtaine ont pu se sauver en grimpant dans la mâture, laquelle, vu la faible profondeur, a continué à dépasser des flots", poursuit M. Renaudot...
Le pari de passionnés
C'était il y a plus de 250 ans. Par 23 mètres de profondeur et à quelques encablures de la côte, entre les îles d'Hoedic et Dumet, le Thésée était destiné à reposer là à jamais. Mais voilà qu'une équipe de passionnés s'est donné comme objectif de le renflouer. Un pari insensé ? Non, répond Marcel Mochet, l'un des initiateurs du projet. Pour ce plongeur et ancien photo-reporter et ceux qui l'accompagnent dans cette aventure, comme l'amiral Serge Thébaut ou Daniel Perrin, une personnalité du monde de la mer et de la communication, il ne fait pas de doute que le Thésée peut être ramené à la surface.
Une perspective rarissime
"Il s'agit d'un site tout à fait exceptionnel", confirme Olivia Hulot, experte au Département des recherches archéologiques sous-marines (DRASSM), évoquant un "faisceau d'indices" laissant penser que l'épave est bien celle du Thésée. Si tel est le cas, "elle recèle, outre les corps des marins, tout ce que pouvait contenir à l'époque un bateau partant pour une longue campagne en mer, des vivres à l'armement en passant par la vaisselle et l'accastillage", souligne l'archéologue, qui a elle-même plongé sur le site.
Comme le Vasa, trésor national suédois
"Le milieu de conservation est optimal: froid, sans lumière et anaérobie", dit Mme Hulot. La perspective, rarissime, de mettre à jour une épave en parfait état --mâture exceptée-- fait rêver l'association Vaisseau Thésée, qui rappelle l'épopée du Vasa, ce bateau qui coula en baie de Stockholm lors de son voyage inaugural en 1628 et qui, renfloué en 1961, est devenu l'une des principales attractions de Suède, avec plus de 20 millions de visiteurs depuis son renflouement.
"Dans une période aussi triste, redonner vie à une telle épave pourrait être une cause nationale fédératrice", juge le communicant Daniel Perrin, associé au projet. Le jeu en vaut la chandelle !
« Un Pompéi sous-marin »
Les fonds marins hébergent de nombreuses épaves mais le Thésée n'est pas une épave comme les autres. Non seulement son état de conservation, grâce à son linceul de vase, semble excellent mais c'est en plus « un véritable Pompéi sous-marin ». Son intérêt archéologique est grand. Le renflouer permettrait d'en apprendre beaucoup sur la façon dont on vivait sur un « 74 canons », sur la dure réalité du quotidien des marins français du milieu du XVIIIe siècle. « Jamais l'occasion de remonter, dans son intégralité, un navire de guerre de cette époque ne s'est présentée en France », souligne Marcel Mochet.
Des pièces uniques
Pièces maîtresses de la marine militaire de l'époque, construits en série, les 74 canons intéressaient particulièrement les Anglais. « Leur but était d'en ramener un, prisonnier, à Portsmouth pour l'analyser. » Intérêt supplémentaire du Thésée, un véritable trésor avait été embarqué à son bord, peu de temps avant son naufrage. Le duc de Choiseul, ministre royal de la Guerre, devait en effet y être reçu en grande pompe par le capitaine Guy-François Kersaint. Il y avait tout ce qui convient à une réception de ce niveau, argenterie, verreries... Des pièces uniques et de grande valeur à seulement 20 mètres de fond... Daniel Perrin, le maître d'oeuvre de l'opération, imagine déjà ce que pourrait devenir le Thésée et ce qu'il contient, une fois renfloué : « En plus de l'exposition du vaisseau, il serait possible de reconstituer et de cartographier toutes les étapes de sa fabrication depuis l'extraction des bois courbés dans les forêts du Jura jusqu'à la fabrication de l'ancre à Nevers en passant par celle des canons à Toulon. »
À Lorient dans un premier temps
Plusieurs villes seraient déjà intéressées pour accueillir le Thésée. On les comprend, en Suède, le Wasa, qui avait coulé en 1628 dans des conditions proches de celles du Thésée, est devenu le musée le plus visité du pays. Dans un premier temps, le Thésée irait forcément à Lorient pour y être débarrassé du sel et de la vase. Une opération qui pourrait prendre au moins une bonne année.
Le « 74 canons » en chiffres
57. C'est, en mètres, la longueur du bâtiment.
50. C'est le nombre de tonnes de boulets de canons que les « 74 canons » embarquent. À leur bord aussi, 22 tonnes de poudre.
600. C'est le nombre d'hommes d'équipage.
210.000. C'est, en litres, la quantité d'eau qui peut être chargée. Jusqu'à 100.000 litres de vin rouge, 26 tonnes de farine, 15 tonnes de salaison, deux tonnes de riz... peuvent également être embarqués pour abreuver et nourrir les 600 hommes d'équipage.
Un chantier titanesque de 20 millions d'euros
Techniquement envisageable, un renflouement ne pourra pas être réalisé à court terme et s'avèrera extrêmement coûteux, reconnaissent les acteurs au dossier.
"Il faudra compter plusieurs années et quelque 20 millions d'euros, frais de conservation compris, pour les seules fouilles sous-marines", estime Mme Hulot. "Vu l'épaisseur de la vase et la turbidité extrême de l'eau, c'est un chantier titanesque."