Pleubian (France): L'énigme des squelettes de Roc'h Louët

À qui appartiennent les ossements humains datant du Moyen-Âge trouvés sur l'îlot Roc'h Louët, au large de Pleubian, près de Paimpol, soigneusement rangés dans des coquillages ?

Magali Lelchat

Source - http://www.lapressedarmor.fr/2016/05/17/archeologie-l-enigme-des-squelettes-de-roc-h-louet/

25086 160510173435124 01 630x0À gauche, l'amas coquillier où ont été trouvés les ossements humains sur l'îlot Roc'h Louët. En haut à gauche, des ossements dans la falaise. En bas, les détails de poterie domestique. (photos creaah). 

C’est une énigme vieille de plusieurs siècles à laquelle sont confrontés les archéologues, sur l’îlot Roc’h Louët, au bout du sillon de Talbert, à Pleubian.

Dans ce paysage grandiose, soumis à la dureté des éléments et menacé par la montée des eaux, l’enquête se situe entre Cold case et 24 h chrono.

L’archipel d’Ollone

Rappel des faits. En 2009, deux représentants du Conservatoire du littoral, Patrick Hamon et Louis Dutouquet, trouvent des ossements humains sur Roc’h Louët, l’un des cailloux de l’archipel d’Ollone au bout du bout de la presqu’île de Lézardrieux.

L’endroit est sous haute surveillance dans le cadre du projet ALERT (Archéologie Littorale et Réchauffement Terrestre).

Les os dans des cageots

La gendarmerie est alertée mais l’ancienneté des os dépasse visiblement, et de très loin, tous les délais de prescription.

Ce sera donc aux archéologues du Creaah (Centre de recherche en archéologie, archéosciences et histoire) de se pencher sur la trouvaille.

« Nous avons récupéré les ossements qu’ils avaient collectés dans des cageots » se souvient Marie-Yvane Daire, directeur de recherche au CNRS chercheuse à l’antenne rennaise du Creaah.

Deux hommes…

Une datation radiocarbone montre que les restes humains datent du Moyen Âge.

Il s’agit de deux hommes de 30 et moins de 20 ans qui ont vécu aux 13e ou 14e siècles.

Une expertise est aussi menée sur le terrain. Les archéologues y sont retournés trois fois, la dernière il y a un an, en mars 2015.

« Il y avait d’autres ossements, quatre ou cinq individus différents mais on peut penser qu’il y en a d’autres ».

L’endroit n’a pas fait l’objet de fouilles en profondeur, d’où les interrogations qui subsistent.

Coquillages

Par ailleurs, un fait étrange est constaté, les dépouilles ont été enterrées dans un grand amas de coquillages.

« Cette accumulation de coquilles montre que des gens ont vécu là, ce sont en fait des déchets alimentaires ».

Les échantillons rapportés au laboratoire révéleront que ces coquillages où se mêlent quelques tessons de poterie et morceaux de charbon de bois, ont été consommés par des personnes vivant à l’âge de fer, entre les 3e et 4e siècle av. JC.

Poste de guet

« On connaît les habitats côtiers de l’âge de fer, il s’agissait de postes de guet pour la circulation maritime ou de postes commerciaux avancés qui permettait les échanges de sel contre des amphores vinaires ».

Le mystère s’épaissit toutefois suite à une autre constatation.

« On a observé que les ossements médiévaux avaient été déplacés, qu’il ne s’agissait pas d’une sépulture primaire mais secondaire, les os ont été récupérés et rangés soigneusement ».

Qui, au Moyen Âge, a placé ces ossements dans cette couche de coquillages datant de l’âge de fer ?

Nécropole de Lavret

Faute de fouilles, les scientifiques en sont aux hypothèses.

« Ça me fait penser à un cimetière organisé. Dans le secteur, il y avait beaucoup d’occupation religieuse, notamment dans l’archipel de Bréhat, n’aurait-on pas là un cimetière de moines enterrés ici pour des raisons sanitaires ? » avance Marie-Yvane Daire.

N’aurait-on pas retrouvé d’ornementation religieuse ?

« Pas forcément, sur la nécropole religieuse de l’île Lavret, toute proche, nous n’avons, en plusieurs années, trouvé aucun objet, ce ne sont pas des religieux très riches et ce qu’on met dans la sépulture n’a pas de valeur ».

Rituel ?

Une réflexion est aussi en cours autour de l’amas de coquillage, pourquoi les avoir enterrés précisément là ?

Ces coquillages ont-ils un sens rituel comme dans certaines sociétés ?

« On a assez systématiquement des morts enterrés sur la côte nord-bretonne, est-ce que ça a un sens ? Est-ce le hasard de la conservation alors qu’ailleurs dans l’intérieur, la terre est trop acide pour que les ossements se conservent ? Rien n’est exclu mais pour l’instant, on ne sait pas » explique l’archéologue.

Le temps presse

Le site garde donc son mystère, en attendant d’éventuelles fouilles. Mais la rencontre entre deux périodes de l’histoire ne facilite pas les choses.

« Pour faire des fouilles il faut déclarer leur objet or, nous avons là deux problématiques, celle de l’occupation à l’âge de fer et celle de la nécropole médiévale ».

Le temps presse pourtant. La mer guette et pourrait engloutir à jamais l’intrigante nécropole de Roc’h Louët.