Piedras Marcadas (USA): La véritable expédition vers les cités d’or

PART.2

Surtout, apparaissent rapidement des éléments qui, tous ensemble, évoquent assez fortement un combat : pointes de traits d'arbalètes et éléments d'arcs, munitions en plomb, fragments de cottes de maille, extrémité d'une dague, bout d'un fourreau d'épée, etc. Des balles d'arquebuses, écrasées, ont visiblement été tirées. Des pointes de traits d'arbalète sont tordues pour la même raison. De nombreux débris d'obsidienne pourraient venir des massues à pointes très répandues en Amérique centrale qu'avaient emportées une partie de la troupe. Enfin, les archéologues ont découvert 25 balles de frondes, une arme encore en usage dans les populations indiennes de la région il y a moins d'un siècle. Elles étaient présentes directement sur le sol, ce qui laisse supposer qu'il y en a beaucoup plus sous terre.

Enfin, les objets et fragments ne sont pas répartis de manière homogène dans tout le village. Ils semblent concentrés à certains endroits bien particuliers. Comme si des combats intenses s'y étaient déroulés… C'est le cas dans une rue du village. Les éléments métalliques y semblent particulièrement déformés et émiettés, ce qui évoque des luttes (même si d'autres interprétations sont possibles.)

AccumulationsLes objets et fragments métalliques espagnols se concentrent principalement dans quatre endroits de l'ancien village de Piedras Marcadas (rouge : ferreux ; vert : cuivre, plomb…) − M. F. Schmader, Adv. Archaeol. Pract., 4, 1, 2016.

Mais l'autre candidat, Santiago, n'a pas dit son dernier mot. En 2013, d'autres archéologues l'ont à leur tour passé au détecteur de métaux, retrouvant des centaines d'objets et de fragments très similaires à ceux de Piedras Marcadas. «Eux pensent que Moho est Santiago, moi que c'est Piedras Marcadas, explique Matthew Schmader, archéologue de la ville d'Albuquerque. Quoiqu'il en soit, celui des deux qui n'est pas Moho est probablement Alcanfor, le village où les Espagnols ont passé l'hiver. Car la distance entre les deux − donnée par les textes − est celle qui sépare Piedras Marcadas de Santiago. Et la similitude des restes trouvés dans les deux sites est vraiment frappante. »

COMPLEMENTS

La publication scientifique : M. F. Schmader, Advances in Archaeological Practice4, 1 16, 2016. Merci à Matthew Schmader de son aide.

La vraie histoire d'Esteban.L'expédition de Coronado a vaguement inspiré le romanThe King's Fifth de l'écrivain américain Scott O'Dell, un livre à l'origine du scénario desMystérieuses cités d'or (1982), dessin animé bien connu des trentenaires et quadragénaires actuels. L'intrigue de cette série, qui mêle Incas, Aztèques et science-fiction,prévoyait initialement de faire intervenir l'expédition de Coronado, mais il semble que cela n'ait pas survécu dans le scénario final. Seul le prénom Esteban a été conservé. Sous la plume d'O'Dell, il était devenu un jeune cartographe espagnol (et un orphelin d'une douzaine d'années dans la série). Le véritable Esteban était en fait un esclave noir, et l'un des rares survivants d'une précédente expédition espagnole à travers la Floride et le nord du Mexique actuel. Parlant plusieurs langues indiennes, c'est lui qui guida le franciscain niçois en 1539 dans sa reconnaissance, prologue de l'expédition de Coronado. Mais à l'inverse de l'ecclésiastique, lui n'en revint pas, tué par les Indiens.

Un procès. Dès le XVIe siècle, une partie de la société espagnole s'élève contre les mauvais traitements subis par les Indiens. Sous l'influence du dominicain Bartolomé de la Casas, notamment, le roi d'Espagne, qui n'est autre que Charles Quint, promulgue en 1542 une loi les protégeant. Pas vraiment auréolé de gloire à son retour, Coronado va faire les frais de ce retournement de l'opinion. Une enquête est diligentée pour savoir vraiment ce qui a suscité la révolte des indiens, notamment, si les Espagnols ont brûlé intentionnellement certains villages, ont fait preuve de cruauté, etc. Le procès a lieu en 1544. Coronado finalement s'en sort sans dommage, contrairement à l'un de ses capitaines, García López de Cárdenas, qui paye pour les autres. Il est renvoyé en Espagne pour quelques années.

L'attribution des objets de Piedras Marcadas à l'expédition. Le style de plusieurs objets notamment des bouts de lacets, indique qu'ils datent de la première moitié du XVIe siècle. En outre, à Piedras Marcadas les pointes des traits d'arbalète sont en cuivre, une caractéristique unique à tous les sites archéologiques qui semblent renfermer les traces de l'expédition de Coronado (dans les autres, elles sont en fer, et moins nombreuses car les arbalètes deviennent largement supplantées par les armes à feu ensuite). C'est le cas en particulier dans un site au Texas, dans une zone susceptible d'avoir été une étape de Coronado en 1541-42. Or des analyses de ces pointes de traits d'arbalète, en cuivre, de ce site et de celui de Piedras Marcadas, ont montré qu'ils avaient exactement la même signature chimique, et que le cuivre utilisé provenaient vraisemblablement du Mexique. Bref, tout un faisceau d'indices relient ces sites entre eux, et à la période précise de l'expédition de Coronado.

Archéologie et populations indiennes. Suite à la découverte de traces de combats, les archéologues de Piedras Marcadas n'en menaient pas large. Comment allaient réagir les représentants des populations indiennes, confrontés aux souvenirs d'une époque douloureuse ? En fait, les choses se sont plutôt bien passées. L'association des populations indiennes dès le début du processus scientifique a porté ses fruits. Bien qu'un temps interloqués par la découverte d'anciennes armes indiennes (les balles de fronde) à Piedras Marcadas, leurs représentants ne se sont pas opposés pas aux analyses. Ils ont en revanche insisté pour être partie prenante des visites du site, afin que le point de vue indien soit enseigné aux plus jeunes.

D'autres exemples beaucoup plus conflictuels. Ce n'est pas le seul exemple, loin de là, où les archéologues composent avec la population locale. Le précédent le plus célèbre, l'homme de Kennewick, avait donné lieu à une vive controverse. Il faut dire que les tribus locales étaient beaucoup plus éloignées dans le temps des vestiges examinés par les archéologues (un fossile humain âgé de 8 500 ans) que dans le cas présent. D'où une polémique sur leur légitimité à en revendiquer l'héritage.