Nouvelle Calédonie : Lapita, ancêtres océaniens

 

 

Aux sources de l'Océanie

L’archéologue Christophe Sand raconte ses découvertes en pays kanak sur la civilisation millénaire des Lapita. Leur tradition céramique fait l’objet d’une expo qui débute mardi au Quai- Branly à Paris.

Vincent Noce

Source : http://voyages.liberation.fr/grandes-destinations/aux-sources-de-l-039-oceanie

 

Le tesson ne fait que quelques centimètres, mais le décor, finement pointillé, est nettement visible. Il a suffi à Christophe Sand, qui dirige à Nouméa l’Institut d’archéologie de la Nouvelle-Calédonie et du Pacifique, de disperser un peu de sable avec un bâton. Le mauvais temps est passé par là, des fragments de poterie affleurent à la surface d’une coupe sablonneuse, à quelques mètres des vagues aux tons émeraude et turquoise. Les archéologues nourrissent un penchant secret pour les catastrophes : séismes, raz-de-marée, cyclones… Rien de tel pour faire remonter à la surface des témoignages du passé.

La plage où nous nous trouvons, dans l’ouest de la Nouvelle-Calédonie, a été surnommée «Lapita». Le lieu-dit a donné son nom à une mystérieuse culture, à laquelle le musée du Quai- Branly à Paris consacre une exposition qui va durer deux mois (1), avant que les pièces ne s’en retournent au musée de Nouméa. Retenez le mot Lapita. La localisation de ces fragments et leur datation, explique Christophe Sand, ont fait exploser les certitudes acquises sur l’histoire des myriades d’îles que porte cet océan et leur peuplement humain. Et ce n’est pas fini : Lapita est une grande énigme qui parcourt l’Océanie. Cet archéologue de 46 ans s’est retrouvé au cœur de cette recherche à un moment crucial de l’histoire d’un pays qui, il y a une vingtaine d’années, sortait d’un climat de guerre civile.

A Nouméa, comme dans les villages, les jeunes Caldoches ou Kanaks sortent ensemble en boîte. Désormais, sur fond d’essor économique, grâce aux ressources minières, la réconciliation entre les communautés d’origine européenne et indigène est spectaculaire. Il n’empêche, elles regardent de près les découvertes sur cette civilisation fondatrice, qui bousculent les idées reçues sur lesquelles se fondent les sentiments identitaires.

Rêves par strates

Aujourd’hui, Christophe Sand arpente cette plage, proche du village de Koné. Hier, c’était un autre site, de l’autre côté de l’archipel, où la présence d’une source justifie celle d’une très ancienne habitation humaine. Quand il avait 19 ans, il faisait les mêmes découvertes à Wallis, autre territoire français en Polynésie, à 2 000 kilomètres de là. Au fil des décennies, des fragments de ces poteries ont été retrouvés en des centaines d’endroits, sur la Grande Terre de Nouvelle-Calédonie, sur les îles périphériques, et jusque dans les confettis de Mélanésie et Polynésie occidentale. Toujours sur les plages. De l’archipel de Bismarck, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, à Samoa et Tonga, en Polynésie, sur près de 5 000 km, existait donc une aire commune de culture et d’échanges que personne n’avait jamais imaginée. Et qui est loin d’avoir livré tous ses secrets.

Loin de se douter qu’il serait un jour engagé dans une telle remise en cause des connaissances sur l’Océanie, Christophe Sand savait «dès 8 ans» qu’il voulait devenir archéologue. S’entendre dire que la coupole de Saint-Pierre, à Rome, avait été construite sur la basilique du Ve siècle de Constantin, elle-même édifiée sur la sépulture de saint Pierre, en bordure du cirque de Caligula, lui avait ouvert les portes du rêve. Etrange garçon, se dit-on, qui rêve par strates. Aujourd’hui un scientifique - qui préfère le terrain à l’enceinte d’une université -, souriant, disert et au discours remarquablement didactique. D’une famille dont les origines mêlées remontent en Nouvelle-Calédonie, il a fait ses débuts à Wallis après de rapides études à la Sorbonne. Puis, il a passé du temps sur les plages, «à faire la fête, pêcher et chasser en brousse», avant de se mettre sérieusement au boulot, pour ce qui allait prendre les allures d’une monomanie.

Premiers habitants

Il y a un siècle, raconte Christophe Sand, un géologue, Maurice Piroutet, longeant cette baie corallienne qui ne portait pas encore le nom de Lapita, avait déjà trouvé des tessons dont «la décoration originale ne lui rappelait en rien les poteries kanakes, même anciennes». Il s’interrogeait sur ces «imbrications incisées» qui lui faisaient penser aux vases corinthiens de l’Antiquité grecque ou aux palmettes dessinées par les Etrusques. A proximité, il avait ramassé des silex taillés et des outils en pierre, postulant que ces traces avaient pu être léguées par «les premiers habitants de Nouvelle-Calédonie».

Personne ne songea à faire le rapprochement avec une autre trouvaille fortuite de petits bouts de céramique pareillement pointillés, réalisée par le père Otto Meyer à 3 000 km de là, sur l’île de Watom, dans l’archipel de Nouvelle-Bretagne, dont le compte-rendu, paru en 1909 dans une revue d’anthropologie, passa inaperçu. «Il fallut attendre une quarantaine d’années, poursuit l’archéologue, pour que ce lien soit suggéré par un géologue du musée de l’Homme, à Paris ; puis par un professeur de Berkeley, venu fouiller en Nouvelle-Calédonie, qui avait déjà trouvé des débris similaires dans une dune de l’archipel des Fidji.»

Il revint à ce professeur, Edward Gifford, d’ouvrir, en 1952, la fouille de cette plage, baptisée «site numéro 13». Et d’inventer le terme de Lapita, repris de xapeta’a, utilisé dans le dialecte local par les ouvriers pour désigner «l’endroit où l’on fait des trous». Le professeur américain commanda aussi les premiers essais de datation selon la technique du carbone 14, qui venait d’être mise au point. «Ces données, poursuit Christophe Sand, pointaient les débuts du premier millénaire avant notre ère, ce qui remettait en cause toute la problématique de la préhistoire de la région, puisqu’on avait toujours cru que les hommes étaient arrivés ici il y a 1 000 ou 2 000 ans seulement.» Depuis lors, le curseur est encore nettement remonté dans le temps, jusqu’à il y a plus de 3 000 ans. «Toute l’archéologie du Pacifique s’est par la suite engouffrée dans cette quête des origines», selon les mots du scientifique.En 1984, un Lapita Home Land Project a été lancé avec onze équipes issues d’institutions australiennes, néo-zélandaises et américaines réparties sur une dizaine de sites, dont les résultats ont été énormes : en plusieurs endroits, en Nouvelle-Bretagne et en Nouvelle-Irlande, ils ont établi une chronologie préhistorique remontant à plus de 30 000 ans.»

à suivre ...