Mutzig (France) : Un site néandertalien exceptionnel

 

Un site néandertalien exceptionnel découvert et fouillé en Alsace

Geneviève Daune-Anglard

Source - http://www.lalsace.fr/actualite/2011/09/10/un-site-neandertalien-exceptionnel-decouvert-et-fouille-en-alsace 

 

Jean Detrey, archéologue du Pair (Pole d’archéologie interdépartemental rhénan), est le responsable du site de fouilles à Mutzig. Photos Jean-Marc Loos

 « C’est Jean Sainty, alors ingénieur au service régional d’archéologie, qui a fait les premiers sondages sur le site, explique Jean Detrey, responsable des fouilles au Pair (Pole d’archéologie interdépartemental rhénan). Il y avait eu des travaux d’aménagement à Mutzig en 1992 et il a tout de suite observé dans le sol des objets et des ossements préhistoriques. »

Devant l’importance des résultats des sondages effectués par Jean Sainty, qui a trouvé des restes de mammouth, de chevreuil, de rennes et de bouquetins, mais aussi des pierres taillées, le conseil général du Bas-Rhin, en partenariat avec la Drac (Direction régionale des affaires culturelles), a acquis la parcelle de terrain et relancé un programme de fouilles avec le Pair, l’Université de Bâle et cette année, celle de Cologne.

Les travaux de fouilles ont repris en 2009, sous la supervision de Jean Detrey, archéologue depuis vingt ans, dont l’essentiel de la carrière s’est déroulé en Suisse, au Service archéologie et paléontologie du Jura.

« On a rouvert la tranchée faite par Jean Sainty et on y a retrouvé la stratigraphie qu’il avait établie. Il y a 90 000 ans, il y avait une grande barre rocheuse qui s’avançait au-dessus du site et formait un abri-sous-roche, utilisé par plusieurs groupes d’humains del’époque. » Depuis, la barre rocheuse s’est effritée sous l’érosion et a complètement disparu. « Des blocs de roche se sont détachés, ensevelissant les restes de faune et les outils laissés sur place. Cet effondrement a détruit les sites occupés plus haut sur la colline, mais a contribué à préserver celui qui était à son pied. Et la terre qui a coulé en remplissant sur deux mètres de hauteur a aussi contribué à cette conservation. Aujourd’hui, on constate que le site n’a pas bougé depuis 90 000 ans ! »

À cette époque, on est au début de la dernière période de glaciation, avec une température moyenne dans l’année de 3 à 4 °C, un été chaud et un hiver très froid.

Pour l’archéologue, cette préservation va permettre de connaître la vie des Néandertaliens qui ont habité sur le site. « Il y a peu de sites aussi bien conservés, insiste-t-il, et ils sont extrêmement rares dans l’Est. »

Après plus d’un an de fouilles, de nombreux ossements et fragments de défense ont été retrouvés, ainsi que des outils en pierre taillée. « On a trouvé notamment des restes de jeune mammouth, une molaire et un fragment de défense. Le fond de la vallée était très marécageux : il est possible qu’à la fonte des neiges, de petits mammouths se soient enlisés et que les hommes présents en aient profité. On a aussi collecté des restes de renne, de cheval ou encore de bovidé type auroch ou bison. » Et de très nombreuses pierres taillées (plusieurs centaines) qui servaient d’outil pour découper la viande ou dépecer et racler les peaux. « Quand les hommes partaient chasser, ils ramenaient aussi des silex et des galets pour produire les outils dont ils auraient besoin pour tailler sur place. Tous les éclats d’outils et de restes animaux ont été retrouvés là où ils ont découpé la viande. »

Ce point intéresse vivement les chercheurs, car ils aimeraient déterminer si sur le campement, on coupait la viande d’un côté et on dépouillait la peau plus loin. « A priori, les hommes de l’époque découpaient la viande au même endroit. »

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Plusieurs mètres cubes de terre ont déjà été tamisés à Mutzig pour récupérer des fragments et des objets. « L’analyse microscopique d’échantillons a montré la présence de cendres et de charbon de bois. Ceci prouve que le feu était maîtrisé sur le site et des foyers installés. Mais on n’a pas retrouvé trace de ces foyers. »

La microfaune constitue une autre source précieuse de renseignements pour les archéologues. « On a retrouvé des vestiges de souris, de campagnol ou de lemmings qui vont être analysés. »

De même, des restes de batraciens et de reptiles apportent des informations et une vision plus exacte de l’environnement du site à l’époque. « Les gros animaux ne changent pas beaucoup, qu’il fasse très froid ou moyennement froid, reprend le responsable. En revanche, les petits animaux y sont sensibles et ne vont pas donner le même assemblage. Toutes ces nuances dans la microfaune vont nous permettre de reconstituer plus précisément l’environnement de cet habitat préhistorique et d’en affiner la datation. »

Jean Detrey estime qu’il a au bas mot dix années de fouille devant lui, à raison d’un mois et demi par an avec une quinzaine d’archéologues et des étudiants qui trouvent là un site inespéré pour se former.

Une dizaine d’occupations sur 100 mètres

Selon les premiers relevés effectués, l’occupation du site s’étendait sur une centaine de mètres de long. « Il y a dû avoir une dizaine d’occupations, dont la plus récente se situe à -90 000 ans. Mais les groupes ne restaient que quelques mois sur le site. L’homme de Néandertal était capable de couvrir de grandes distances dans la journée et les silex proviennent peut-être de Scharrachbergheim. Mais contrairement à ce que j’ai pu observer dans le Jura, les mouvements de ces groupes restaient très locaux, car les matières premières sont locales. Toutefois, il est aussi possible que les occupants de l’époque se déplaçaient de l’autre côté, sur le versant vosgien, quoiqu’on n’ait pas retrouvé d’éléments de l’autre côté. »