Mayas, autodestruction d'une civilisation Part.2

 

  PART.2

STUC DESTRUCTEUR

Au milieu du IIe siècle, ceux-ci quittent les lieux en masse. Et n'y reviendront que très partiellement, après de longs siècles. Pourquoi ? "Je ne crois pas que la guerre puisse pousser les populations à partir et à ne jamais revenir : la guerre peut susciter un abandon momentané, pas un effondrement, estime Richard Hansen, qui fouille El Mirador depuis les années 1980. Pendant la seconde guerre mondiale, Dresde, Tokyo ont été bombardées, Hiroshima et Nagasaki ont chacune reçu une bombe atomique… Or toutes ces villes sont aujourd'hui assez bien peuplées !" Pour l'archéologue américain, il faut chercher ailleurs les causes de l'effondrement des Mayas préclassiques. "Il faut bien comprendre que ce qui a permis l'extraordinaire succès des Mayas, c'est leur système agricole, ajoute M. Hansen. Dans la région d'El Mirador, ils utilisaient la boue des marécages sur de grandes cultures en terrasse : ils pouvaient ainsi cultiver la même terre pendant des centaines d'années sans l'épuiser."

Selon l'archéologue américain, quelque chose est donc venu perturber cet astucieux système. Les fouilles montrent que les boues de matières organiques utilisées comme fertilisants sont aujourd'hui parfois ensevelies sous un à deux mètres d'argiles. De tels enfouissements des sols n'ont pu être provoqués que par l'érosion due à une déforestation massive. "Je pense que ce qui a suscité cette déforestation n'est pas l'agriculture, mais plutôt la production de stuc." Tout au long de la période préclassique, à mesure que les siècles passent, les parements de stuc qui recouvrent les murs des monuments, des maisons, voire le pavement des chaussées, s'épaississent. Les signes ostentatoires de richesse et de pouvoir de la classe dirigeante se paient en stuc. Donc en arbres. Car cet enduit, qui permet de recouvrir les maçonneries grossières, s'obtient au prix d'un long chauffage du calcaire, très coûteux en bois.

 

Une tête en stuc de l'époque classique. La production massive de ce matériau serait à l'origine de l'effondrement de la civilisation préclassique.Ricky Lopez Bruni/www.rickylopezbruni.com 

Ce défrichage de grande ampleur aurait donc endommagé quasi irréversiblement l'environnement de la région, ruinant ainsi le système agricole qui assurait aux populations leur prospérité. Bien que localisé, cet effondrement des Mayas préclassiques préfigure-t-il celui intervenu sept siècles plus tard sur l'ensemble des basses terres ? De troublantes analogies existent. Comme sur le site de Copan, sur le territoire actuel du Honduras, où l'archéologue David Webster a montré que, dès le viiie siècle, les glissements de terrain dus à la déforestation ont peu à peu oblitéré les capacités de production des paysans aux abords de la cité. "C'est une situation que l'on ne retrouve pas forcément ailleurs et il ne faut donc pas généraliser", tempère Charlotte Arnauld. Mais, malicieusement, cette dernière fait remarquer que les derniers grands monuments de la période classique, érigés peu avant l'effondrement, sont constitués de petits blocs de calcaire, plus petits et bien mieux taillés que ceux utilisés dans les siècles précédents et bien plus soigneusement ajustés les uns aux autres.

"Peut-être précisément pour économiser le stuc", avance-t-elle. Et donc pour économiser le bois, signe qu'il commençait sérieusement à se faire rare… La déforestation massive pratiquée au cours de la période classique a sans doute eu d'autres répercussions. Sur les pluies : les climatologues savent aujourd'hui que l'absence de végétation peut entraver les précipitations. Des analyses de carottes sédimentaires ont montré qu'entre 760 et 910, quatre vagues de sécheresse de trois à neuf ans chacune ont frappé de vastes zones de l'aire maya. Or dans un système politico-religieux où le roi est le garant de la clémence des éléments, ces calamités à répétition ont peut-être déstabilisé les élites et engendré des troubles politiques.

CIV   101 - 201 :  Civilisations précolombiennes mésoaméricaines / Mesoamerican Civilizations

ECR  102 : Introduction à l’écriture maya / Introduction to Maya Hieroglyphic writing

REL  201 :  Divinités précolombiennes mésoaméricaines / Precolombian religions in Mesoamerica

FIN D'UN SYSTÈME

Des troubles dont l'une des plus saisissantes illustrations est une découverte faite par l'équipe dirigée par Charlotte Arnauld au début des années 2000, sur le site de La Joyanca, dans le nord-ouest du Guatemala. L'un des bâtiments, tout en longueur – plus de 50 mètres –, est juché au sommet d'un escalier qui conduit à une grande pièce. Sans doute s'agit-il d'une salle d'audience pourvue d'une banquette, située au milieu – de toute évidence celle du roi. Bâtiment politique par excellence, ce long édifice a connu des cloisonnements internes pendant son occupation (entre 750 et 850), jusqu'à comporter six pièces au milieu desquelles le souverain perd sa singularité. Donc sans doute une partie de son pouvoir. Lorsqu'ils dégagent l'édifice, les archéologues trouvent, dans la pièce centrale du roi, le squelette d'un homme, ou d'une femme, jeté là sans ménagement ni sépulture, vraisemblablement à dessein, avant que la banquette royale ne soit enlevée et le toit du bâtiment volontairement abattu…

S'agit-il du souverain ? Pourquoi aurait-il été tué ? "On ne le saura jamais, admet Charlotte Arnauld. Mais cela n'ôte rien à la violence des actes qui se sont déroulés là, dans une enceinte dévolue au roi." La fin de la période classique est aussi la fin d'un système de royauté sacrée. Au nord des basses terres centrales désertées, dans la péninsule du Yucatan où les Mayas feront revivre de grandes cités dès le XIe siècle, une nouvelle forme de gouvernance apparaît. Un système pour lequel un mot maya existe, multepal : "gouverner ensemble".