Xavier Bourgois
Source - http://kiosque.leditiondusoir.fr/data/471/reader/reader.html#preferred/1/package/471/pub/472/page/4
Dans le petit monde de l’archéologie préhistorique, cela faisait plusieurs mois que tout le monde s’attendait à une grande annonce. Voilà quelques heures, Sonia Harmand, chargée de recherche au CNRS et professeur à l’université de Stony Brook aux États-Unis, n’a pas déçu la communauté scientifique en dévoilant à San Francisco l’une des plus grandes découvertes de ce siècle : une nouvelle culture préhistorique. L'édition du soir l'a rencontrée voilà quelques jours au Kenya.
C’est en juillet 2011 que la grande aventure a débuté, sur les rives du lac Turkana, dans le nord du Kenya. Une mission de recherche menée par l’archéologue Sonia Harmand, et composée de chercheurs français, kenyans et américains, découvre les plus anciens outils de pierre taillée du monde. Datés de 3,3 millions d’années, ils font reculer de 700 000 ans l’apparition des premiers outils, qui avaient été découverts à la fin des années 1970 en Éthiopie et datés de 2,6 millions d’années.
« Ces outils sont également 500 000 ans plus anciens que les premiers restes du genre Homo que nous connaissons et pourraient par conséquent être l’œuvre d’hominidés d’un genre différent, comme l’Australopithèque », détaille Sonia Harmand. L’Australopithèque a qui l’on prêtait jusqu’à aujourd’hui la capacité d’utiliser des outils, mais pas de les fabriquer. La chercheuse est bien consciente de révolutionner tout le champ des connaissances préhistoriques avec cette nouvelle culture que l’équipe propose de nommer « Lomekwienne ».
On savait que la célèbre Australopithèque Lucy, découverte en 1974 en Éthiopie, et contemporaine de ces outils, « pouvait probablement utiliser des objets naturels trouvés pour s’en servir comme outils, comme le font certains singes actuels, poursuit Sonia Harmand.Mais ce sont nos outils qui remettent vraiment en question les aptitudes conventionnellement attribuées aux Australopithèques puisqu’ils montrent qu’ils pouvaient probablement en fabriquer… »
Des outils différents
En tout, ce sont plus d’une centaine de pièces qui ont été découvertes en surface et dans les sédiments. Des outils fondamentalement différents de ceux que l’on connaissait jusqu’alors : ce sont en majorité des blocs de lave, lourds et volumineux, qui ont servi à produire des éclats tranchants, permettant aux hominidés de l’époque d’améliorer leurs conditions de vie…
Si la découverte est inespérée, son lieu, lui, ne surprend pas vraiment : c’est dans la grande vallée du rift, le « berceau de l’humanité » que ces objets préhistoriques ont été retrouvés. Vu du ciel, c’est une immense balafre qui s’étire du levant jusqu’à l’Afrique australe, passant par la Mer Rouge et les grands lacs africains. Pour plusieurs générations de chercheurs, la vallée a été un nid prodigieux offrant des conditions de sédimentation suffisamment rapide pour que des vestiges tels que Lucy soient conservés, jusqu’à ce que l’érosion naturelle fasse remonter à la surface ces fossiles très anciens.
C’est d’ailleurs dans cette même région que Turkana Boy, spécimen le plus complet d’Homo erectus daté à 1,6 million d’années avait été découvert en 1984, ainsi que les restes fossiles d’une autre espèce,Kenyanthropus platyops, daté entre 3,2 et 3,5 millions d’années, en 2001…
Sonia Harmand présente ces outils, les plus anciens jamais datés : des blocs de lave, lourds et volumineux, qui ont servi à produire des éclats tranchants. (Photo : Xavier Bourgois)
Le nerf de la recherche…
Mais si la découverte de l’équipe de Sonia Harmand date de 2011, comment se fait-il qu’elle ne soit dévoilée qu’aujourd’hui ? En fait, il faut du temps pour s’assurer de l’âge des outils et les documenter.« Et puis il y a un manque de moyens, tout simplement », résume l’archéologue, qui avoue passer 50 % de son temps à la recherche de fonds pour pouvoir continuer ses recherches. « Fouiller dans cette région reculée et semi-désertique du nord du Kenya représente un lourd investissement logistique et un long travail de préparation. Nous aimerions pouvoir passer plus de temps sur le terrain. Actuellement nous menons de courtes missions d’un mois car nous n’avons pas les moyens financiers de séjourner au Turkana plus longtemps. Nous avons aussi par exemple cruellement besoin de remplacer nos vieux 4x4… »
Subventionnée depuis vingt ans par le ministère français des Affaires étrangères, la mission fait également appel a des sponsors privés, comme l’entreprise Total qui leur fournit des véhicules 4x4 ou la National Geographic Society, qui a consenti à les soutenir financièrement après la découverte des premiers vestiges en 2011. Grâce à sa découverte, Sonia espère bien pouvoir attirer de nouveaux bailleurs de fonds, mais pour l’heure, les aides sont encore trop faibles pour « travailler correctement », estime la chercheuse, qui insiste sur les difficultés d’accès à un tel terrain de recherche.
Les pierres entreposées renferment-elles le secret des premiers hommes de la planète ? (Photo : Xavier Bourgois)
Effectivement, sur les rives sublimes du Turkana, le plus grand lac alcalin en milieu désertique, la logistique s’avère être un véritable casse-tête pour l’équipe, composée d’une trentaine de personnes, qui séjourne chaque année là-bas dans des conditions très rudimentaires et presque similaires à celles du siècle dernier. Une aventure source de fantasmes, voire de héros de cinéma comme un certain Indiana Jones…
« C’est vrai que mis à part nos petits panneaux solaires, nos conditions sont identiques à celles des générations de chercheurs qui nous ont précédés… Il ne me manque que le fouet ! », accorde en souriant Sonia, qui ne boude pas son plaisir de vivre le rêve de plusieurs générations d’enfants.