Llullaillaco (Pérou) - J’ai découvert trois momies incas au sommet d’un volcan glacé

 

J’ai découvert trois momies incas au sommet d’un volcan glacé 

Constanza Ceruti   -   Propos recueillis par Sabrina Khenfer - Paris Match

Source - http://www.parismatch.com/Actu-Match/Monde/Actu/J-ai-decouvert-trois-momies-incas-au-sommet-d-un-volcan-glace-.-Par-Constanza-Ceruti-236755/ 

 

 

La Niña del Rayo (la fille de l’éclair), 6 ans | Photo Dr

Je dirige une expédition sur le volcan Llullaillaco, dans la cordillère des Andes. Après des journées de travail dans un froid intense, ce jour de mars 1999, nous dégageons un morceau de tissu.

Cela fait plusieurs ­semaines que nous travaillons et dormons à plus de 5 000 mètres d’altitude. Depuis quelques jours, nous avons établi notre campement à 6 700 mètres. Un record dans l’histoire de l’archéologie de haute montagne. Dans cette équipe composée d’archéologues et de guides, je suis la seule femme. J’ai 26 ans et c’est moi qui, avec le Dr Johan Reinhard, dirige l’expédition. Nous sommes ici car plusieurs indices nous laissent imaginer que nous pourrions trouver des ­momies et des objets issus de la ­civilisation inca. En 1995, Juanita a été découverte dans cette zone et, en 1998, nous avons réalisé une opération de sauvetage d’une ­momie très endommagée après le dynamitage de chasseurs de trésors.
En ce mois de mars 1999, nous voilà donc à fouiller le sommet rocheux et enneigé du Llullaillaco. Pendant quatre jours, une tempête de neige nous a cloués sur place, mais les recherches peuvent enfin reprendre. Les journées de travail sont longues et les conditions ­géographiques ­extrêmes. Nous sommes sur le plus haut site archéologique du monde ! Le plus dur est le froid. Intense.

En quelques secondes, il vide les batteries des appareils photo et me gèle le bout des doigts. Le vent ­glacial souffle à plus de 110 km/h. Il emporte les toiles de tente et les feuilles du journal de bord dans ­lequel je note chaque détail de notre expédition. Quant au manque d’oxygène, il ralentit un peu mes capacités cérébrales, mais je tiens à ce que mon séjour reste aussi ­naturel que possible : pas d’oxygène et pas de médicaments. A part un ­léger malaise, je pense pouvoir dire que la montagne me va bien !

Après plusieurs jours de recherches, nous découvrons enfin un premier indice sur la présence d’une momie dans le secteur : une statuette. Nos connaissances des rites incas nous conduisent vers l’esplanade. Là-bas, mon cœur s’arrête. Sous la terre que nous venons de dégager, un morceau de tissu. Et sous ce tissu, un enfant. El Niño. Son petit corps, ses cheveux et ses vêtements sont parfaitement conservés par le froid ­extrême. Quelle découverte ! Nous nous embrassons, nous nous serrons dans les bras l’un de l’autre. A partir de là, tout s’accélère. Rapidement, nous déterrons deux autres enfants, sans doute sacrifiés lors de la même cérémonie, il y a cinq cents ans. La Niña del Rayo et la Doncella. Si la première a le corps partiellement brûlé par la foudre, le visage de la seconde, peint en rouge, est parfaitement conservé. Leurs ­cheveux noirs sont tressés, leurs sourcils et leurs poils sont intacts sous leur épais manteau de laine. Je n’ai jamais été aussi reconnaissante d’être en vie que ce jour-là !

Mais après l’euphorie vient l’inquiétude. Comment conserver ces momies, si fragiles, une fois extraites de leur milieu naturel ? Grâce au téléphone satellite nous appelons Salta, la ville la plus proche, en Argentine. Tout est réglé : de la glace sèche nous attend au pied de la montagne. Elle gardera les ­momies congelées pendant leur transport vers le laboratoire. A l’Institut de ­recherches de haute montagne de Salta, les examens commencent : ­radiologies, denture, ADN... Les résultats sont époustouflants. Les enfants avaient 6, 7 et 15 ans au ­moment de leur mort. Leurs organes internes sont intacts et leurs estomacs contiennent ­toujours de la nourriture.

L’étude des enfants du Llullaillaco nous en apprend beaucoup sur leur vie et leur mort ; les rites et le quotidien des Incas. Aujourd’hui, ils sont conservés dans des conditions reproduisant exactement celles du volcan, et exposés à tour de rôle au Musée archéologique de haute montagne de Salta. Il m’arrive de venir leur rendre visite avec des collègues chercheurs. Quand je fais les présentations, je ne peux m’empêcher de ressentir une pointe de fierté. Comme une mère avec ses enfants...