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Le Texas au centre du débat sur l'origine des premiers Américains

 

Le Texas au centre du débat sur l'origine des premiers Américains 

Source - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/67265.htm

 

Le monde archéologique américain vit depuis toujours à l'enseigne d'une âpre discussion sur les origines des premiers habitants du Nouveau Monde. Le coup d'envoi [1] fut-bizarrement-donné en 1781 par la Légation Française, qui adressa une lettre au Gouverneur de Virginie, un certain Thomas Jefferson, pour lui demander des informations sur, entre autres, les populations natives de son Etat. Le Gouverneur répondit dans son ouvrage Notes on the State of Virginia, dans lequel il écrivit : "Un question importante a été posée : d'où viennent les habitants aborigènes d'Amérique" [2].

A cette question était évidemment liée celle de l'époque à laquelle ces peuples seraient arrivés sur le continent américain. Questions qui se présentaient comme inquiétantes pour une société qui observait le monde a travers la lorgnette de la Bible, laquelle ne fait évidemment aucune référence à ces peuples. Questions qui ne sont pas totalement résolues aujourd'hui, 330 ans après cette lettre d'un secrétariat diplomatique français à un Gouverneur de Virginie.

Si l'origine géographique de ceux qu'on appelle paléoindiens est relativement peu controversée-leur aspect physique, et plus récemment la génétique, pointent a une origine asiatique-la date à laquelle la colonisation du Nouveau Monde devrait se situer, est très incertaine. Le "modèle" couramment accepte postule que des nomades de Sibérie auraient profité de l'ouverture d'un "couloir" dans les glaces qui couvraient le Nord du continent Américain, pour descendre vers les Grandes Plaines, et ensuite coloniser le reste du continent. Cette ouverture se serait produite il y a environ 14.000 ans, ce qui implique que les premiers Américains devraient avoir laissé des traces datables à partir de cette époque. Il a donc été réconfortant pour les archéologues de découvrir de nombreux sites datant d'il y a environ 13.000 ans, caractérisés par des pointes de lance et de flèche de forme très spécifique, qu'on appelle "Clovis" du nom de la localité du Nouveau Mexique où la première découverte eut lieu [3].

Ce modèle ou paradigme, qui est connu dans les milieux archéologiques Nord-Américains sous le nom de Clovis first ("les Clovis sont les premiers", sous-entendu "colonisateurs") souffre d'un petit problème : il est très vraisemblablement faux [4]. On le sait depuis la découverte du site dit de Monte Verde, au fin fond du Chili. La-bas, à l'endroit le plus éloigné du couloir dans les glaces entre l'Alaska et le reste de l'Amérique-ouvert, on le rappelle, il y a 14.000 ans-se trouvent, dans un état remarquable de conservation, les vestiges d'installations humaines datées à au moins 1000 ans avant Clovis [5]. Evidemment, pour parcourir les milliers de kilomètres qui séparent l'Alaska du Chili, ces premiers Américains ont dû pénétrer dans le Nouveau Monde bien avant cette date d'il y a 14.000 ans, et donc, soit à des époques très éloignées dans le temps, quand d'autres minima des glaciations se sont produits, soit par d'autres chemins que les voies de terre. Dans les deux cas, les Clovis ne seraient point les premiers, et la plupart des archéologues américains ont beaucoup de mal à avaler cette pilule.

D'où l'importance de la découverte de nouveaux sites, si possible en Amérique du Nord, qu'on puisse dater avec certitude à une époque pré-Clovis. Les critères que doit satisfaire un tel site sont: [1] traces indéniables d'artefacts ou squelettes humains, [2] dans des situations géologiques préservées, dans la position stratigraphique appropriée, qui soient [3] accompagnées de datations indiscutables.

Jusqu'ici, du moins selon les partisans plus farouches de l'hypothèse Clovis first, aucun site pré-datant Clovis ne remplit les trois conditions (hormis Monte Verde, mais peut-être parce qu'il s'agit d'un cas isolé, son existence ne semble pas ébranler la croyance des plus fidèles.) En mars dernier, la revue Science publiait un article titré The Buttermilk Creek Complex and the Origins of Clovis at the Debra L. Friedkin Site, Texas [6]. Les auteurs en sont principalement des chercheurs du Centre pour l'Etudes des Premiers Américains [7] de l'Université Texas A&M.

Dans ce site de Debra Friedkin, au nord de la capitale Austin, un très important complexe lithique a été mis à jour, datant d'il y a au moins 15.000 ans, donc antérieur à Clovis et à Monte Verde. Ce complexe d'outil et de fragments du travail d'outil qui compte plus de 15.000 pièces-baptisé Buttermill Creek du nom du torrent qui coule à proximité-se trouve en dessous d'une couche dans laquelle des pointes Clovis ont été récupérées, ces dernières à leur tour surmontées par des outils provenant de cultures connues et plus récentes. Chaque couche d'objets archéologiques est correctement datée à l'époque correspondante par luminescence stimulée optiquement [8].

Cette technique permet de déterminer la date de la dernière exposition au soleil de certains cristaux, tel le quartz. En effet, tout matériau cristallin contient des défauts qui fonctionnent comme pièges pour les électrons et les trous. L'exposition à la lumière, par exemple du soleil, vide les pièges. Une fois le cristal enfoui sous terre, d'autres pairs électron-trou sont créés dans sa structure par des processus d'excitation radioactive dans le sol. Les électrons passent dans la bande de conduction, et de là dans des états de piège, dont certains sont assez profonds pour rester stables pendant des millénaires. Ces électrons peuvent ensuite être poussés à se recombiner avec les trous par excitation optique avec un laser bleu. Cette recombinaison étant radiative, la luminescence qui en est produite donne une mesure du temps d'irradiation, et donc d'enfouissement.

En résumé, il est possible de dater une couche de sédiments, et par conséquence les objets qui s'y trouvent, à condition de pouvoir démontrer que les objets en question n'ont pas bougé. Cette dernière partie est la plus délicate.

 

CIV  106 :   Civilisations paléo-indiennes / Amerindians of North America

Une visite à un site archéologique n'a rien de vraiment excitant ; un site archéologique au Texas, encore moins. Un trou dans la terre argileuse, couvert d'une grande tente qui doit plus protéger du soleil que de la pluie, dans lequel une douzaine d'étudiants creusent avec soin, attentifs à ne rien perdre du sol qui peut contenir des micro-artefacts-notamment, des éclats d'outillage-ou, à d'autres endroits, engagés à récolter un échantillon de terrain pour les mesures de luminescence.

La fouille procède par carreaux d'un mètre de côté, et concerne des couches de 2.5 cm d'épaisseur, constamment surveillée au niveau laser. Dans ce volume, tout est prélevé : les plus gros cailloux sont laissés en place pour être photographiés in situ, leur position est reportée sur une grille, tout le processus est soigneusement annoté, chaque événement (par exemple, si l'on a creusé un peu trop profond, allant entamer la couche suivante) dûment marqué dans un cahier. Les cailloux sont ensuite extraits du sol-à moins qu'ils ne se trouvent en fait entre deux niveaux, ce qui implique qu'on attende d'avoir creusé la couche suivante-et examinés pour décider s'il s'agit d'artefacts, ou de simples pierres.

Ce processus détaillé et pointilleux permet d'obtenir des informations précieuses telles, par exemple, la distribution en taille des fragments récupérés aux différents niveaux. Il faut s'assurer que les fragments les plus petits ne se retrouvent pas systématiquement en dessous des plus gros, ce qui indiquerait que le terrain a été perturbé.

Selon David Metzler de Southern Methodist University, les sites qui prétendent à témoigner d'une occupation des Amériques précédente à l'époque Clovis ont une vie moyenne de 10 ans. Il faudra donc voir si le Butter Creek Complex surmonte cette épreuve du temps. Il semble néanmoins, si sa date de 15.000 ans avant notre ère est acceptée par le plus grand nombre, être un prétendant très solide au titre de plus ancien site archéologique du continent Américain.

Mais quoi qu'il en soit de ce site, cette étude souligne l'importance que les nouvelles technologies de datation, importées de la physique et de la chimie, revêtent pour l'archéologie, ainsi que l'importance de leur diffusion et leur compréhension par de nouvelles générations d'archéologues.

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[1] La plupart de ce qui suit est tiré de l'ouvrage First Peoples in a New World: Colonizing Ice Age America, de David Meltzer, University of California Press, 2010.

[2] Great question has arisen, from whence came those aboriginal inhabitants of America.

[3] Voir par exemple http://en.wikipedia.org/wiki/Clovis_culture

On peut noter que ces dates sont exprimées en années calendaires avant notre époque. On trouve parfois les mêmes évènements en "années radiocarbone avant notre époque" et la datation des artefacts Clovis correspondant ainsi à environ 11 500 ans, tandis que l'ouverture du couloir dans les glaces aurait eu lieu il y a 12.000 ans toujours selon la datation radiocarbone.

[5] Certains objets ont été datés à plus de 35.000 ans, mais les archéologues ont beaucoup de mal à accepter ces résultats.

Pour en savoir plus, contacts :

- [4] http://www.centerfirstamericans.com/cfsa-publications/Science2008.pdf
- [6] M.R. Waters, et al. Science 331, 1599 (2011)
- [8] http://en.wikipedia.org/wiki/Optically_stimulated_luminescence ; http://redirectix.bulletins-electroniques.com/uqhP3

Code brève
ADIT : 67265

Rédacteur :

Alberto Pimpinelli, attache-phys.mst@consulfrance-houston.org ; Vincent Reillon, deputy-phys.mst@consulfrance-houston.org

Origine :

BE Etats-Unis numéro 254 (11/07/2011) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/67265.htm