Le son retrouvé d'une trompe gauloise

Arthur de Pas

Source - http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/11/22/retrouver-le-son-d-une-trompe-gauloise_1794736_1650684.html

Non, tu ne chanteras pas ! La voix d'Assurancetourix est certainement son principal atout pour faire fuir sangliers, villageois, Normands ou Romains... Mais, parmi les instruments qu'il affectionne, on peut aussi relever la présence d'un carnyx, cette longue trompe à tête d'animal utilisée par les Celtes durant les trois derniers siècles avant Jésus-Christ.

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Fac-similé d'un carnyx, trompe de guerre gauloise. | PATRICK ERNAUX/INRAP

Il n'est donc pas surprenant qu'un amateur de sensations musicales fortes comme notre barde apprécie l'objet : l'historien grec Polybe (206-126 av. J.-C.), impressionné par la clameur des chants et des carnyx de l'armée gauloise, nota, avec effroi sans doute, que "les lieux voisins résonnant de concert semblaient eux-mêmes pousser des cris".

Quel était le son de ce fameux instrument, utilisé pour rendre fous les Romains ou pour interpeller Toutatis ? Telle est la question que s'est posée Christophe Maniquet, archéologue à l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), après avoir découvert les précieux débris de sept carnyx.

PLUS DE 500 PIÈCES RETROUVÉES

Dans une petite fosse de 30 cm de profondeur, plus de cinq cent pièces de fer et de bronze déposées en offrande aux divinités ont en effet été déterrées en 2004, sur le site de Tintignac en Corrèze. "Ces objets avaient été volontairement détériorés, pour qu'ils ne puissent plus être réutilisés par de simples mortels",raconte Christophe Maniquet.

Près de quarante pièces ont été identifiées comme des fragments de carnyx. Un des instruments, long de 1,80 m et doté d'une tête de sanglier stylisée, a pu être en grande partie reconstitué. Une première dans l'histoire de l'archéologie :"Quelques morceaux de carnyx avaient déjà été découverts, souvent au XIXesiècle, en Angleterre, en Ecosse, en Allemagne, en Italie... Mais le contexte était mal identifié. Et jamais on n'avait retrouvé autant d'instruments à la fois", se réjouit Christophe Maniquet.

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Détail d'un des carnyx retrouvés en pièces en 2004 sur le site de Tintignac (Corrèze). Il représente une tête de sanglier stylisée. | INRAP

Le carnyx appartient à la famille des instruments à vent. Sous-famille des cuivres, qui se définit par la présence d'une embouchure. Sous-sous-famille des cuivres naturels, sans pistons. Sa forme conique le rend proche des cuivres doux comme le cor, au son plus feutré que les cuivres cylindriques comme la trompette.

Malheureusement, l'instrument mis en pièces par les pieux Gaulois est injouable. Christophe Maniquet a donc d'abord fait appel à un artisan pour fabriquer un carnyx de même dimension en laiton. Puis l'archéologue s'est associé aux acousticiens du Laboratoire d'acoustique de l'université du Maine-CNRS, situé au Mans et dirigé par le chercheur Joël Gilbert, spécialiste des cuivres, pour une analyse approfondie du spécimen.

Principal objet de l'étude, présentée lors d'une conférence réunissant luthiers et chercheurs au Mans, les 12 et 13 novembre : les fréquences de résonance, qui déterminent la série de notes jouables. Si l'instrument est bien conçu, elles se rapprochent d'une série harmonique : à partir de la note fondamentale, le musicien peut en produire aisément d'autres (octaves, quintes et tierces essentiellement), en modulant la pression de son souffle et la tension de ses lèvres.

UNE FONDAMENTALE GRAVE

Le carnyx a une fondamentale plutôt grave, étant donné sa longueur. Or, les chercheurs découvrent que les fréquences de résonance obtenues avec la copie de l'instrument sont éloignées d'une série harmonique. Joël Gilbert et ses collègues s'interrogent alors, puis ont un déclic : "Le carnyx n'est pas un instrument primitif, et il était réputé pour sa puissance. Nous avons donc émis l'hypothèse que cette copie n'était sûrement pas complète."

Une supposition que Christophe Maniquet juge plausible : une incertitude demeure concernant la connexion entre l'embouchure et le tube. Les acousticiens reprennent alors leurs recherches en simulant, grâce à un modèle de calcul, l'ajout d'une pièce sur un carnyx virtuel, cette fois. Avec deux longueurs testées : 10 cm et 20 cm. Le son de l'instrument est abaissé et l'harmonicité des résonances modifiée.

Les simulations ont montré qu'un optimum était atteint avec la pièce de 10 cm, ce qui pourrait en plus correspondre à un objet du catalogue archéologique de Tintignac. Christophe Maniquet projette donc de réaliser un deuxième prototype de l'instrument en intégrant notamment les 10 cm manquants.

"Ce carnyx sera ainsi plus facile à jouer et plus puissant", garantit le chercheur Joël Gilbert, confiant dans ses calculs. Qu'on bâillonne donc Assurancetourix, la relève est assurée.