La Noira (France): Premières preuves d'une occupation acheuléenne, il y a 700 000 ans

Muséum national d’Histoire naturelle / CNRS / BRGM

Source http://www2.cnrs.fr/sites/communique/fichier/premieres_preuves_d_une_occupation_acheuleenne_1.pdf

Une étude réalisée par des scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, du CNRS et du BRGM (1), montre que le début de l’Acheuléen (2), en Europe du Nord-Ouest est très ancien et date de 700 000 ans.

Noira

Ces résultats issus des fouilles systématiques effectuées depuis 2003 sur le site de la Noira (découvert au début des années 1970 dans une carrière du Centre de la France), sont publiés le 20 novembre 2013 dans la revue Plos One.

Les premières occupations humaines en Europe durant le Pléistocène (3) se sont déroulées en plusieurs phases reconnues à partir d’enregistrements paléoanthropologiques et archéologiques. La première phase dès 1,4 Millions d’années semble avoir été essentiellement restreinte à la partie méridionale du continent européen sauf à de rares incursions septentrionales près lorsque le climat s’y prêtait. La seconde, l’Acheuléen, est caractérisée par des outils lithiques spécifiques comme le biface (4), l’émergence d’Homo Heidelbergensis, ancêtre de Néanderthal qui est identifié dans plusieurs sites uniquement localisés en Europe de l’Ouest et du Sud. En Afrique, l’Acheuléen apparaît dès 1,8-1,6 Millions d’années ; au Proche-Orient dès 1,4 Millions d’années et en Inde dès 1,5 Millions d’années.

A la Noira (commune de Brinay, Centre de la France), une formation alluviale du Cher datant du Pléistocène moyen a livré un niveau archéologique en place associé à un dépôt de versant. Huit échantillons de sédiments ont été datés par la méthode d’Electron Spin Résonance (ESR) et l’âge obtenu sur les sables fluviatiles recouvrant le dépôt de pente qui contient les outillages est de 665. 000 +/- 550. 000 ans BP (5).

Une série de bifaces et autres outillages en pierre a été retrouvée sur ce site. Les caractéristiques géologiques des dépôts dans lesquels ces outils étaient inclus indiquent des phénomènes de gel attestant que les dépôts de pente et le niveau archéologique associé sont restés à l’air libre au début de la nouvelle glaciation après le départ des hominidés et avant le dépôt sableux fluvial. Ceci indique que des homininés ont occupé le lieu dans un contexte climatique favorable, avant l’arrivée des grands froids, et ont abandonné le site et sans doute la région lorsque le froid s’est installé. L’assemblage lithique de ce niveau comprend à la fois des éclats, des nucléus (6) et des outils bifaciaux variés. Leur présence atteste que des homininés sont venus s’installer sur le versant, en bordure de la rivière, pour débiter de grandes dalles de meulière qu’ils savaient trouver en grande quantité et de bonne qualité. Ils ont abandonné sur cet atelier des outils, dont des bifaces. Technologiquement et typologiquement, la série peut être considérée comme acheuléenne et permet de supposer que des incursions ponctuelles de groupes humains maîtrisant pleinement cette nouvelle technologie ont eu lieu en Europe au-delà du 45ème parallèle, dès 700.000 ans BP. Le site de la Noira atteste donc de la possibilité de phases pionnières acheuléennes dès 700.000 ans dans des zones géographiques bien plus au nord que l’on ne pensait, lors de phases climatiques tempérées.

En effet, avant cette découverte, l’on pensait que les sites acheuléens européens les plus anciens étaient localisés au sud de l’Europe et étaient datés d’environ 600 000 ans BP et que le Nord avait été touché plus tardivement par cette culture.

L’assemblage lithique de la Noira fournit donc des données comportementales et technologiques sur une occupation acheuléenne très précoce en Europe et contribue à notre compréhension de la diffusion de cette tradition sur le continent, qu’elle vienne directement d’Afrique ou soit passée par le Proche-Orient. Ces résultats remettent en question les données chronologiques existantes et indiquent une émergence de l’Acheuléen au Nord de l’Europe bien avant 500 000 ans, modifiant la vision que nous avions des premiers peuplements européens. Ces travaux ont reçu le soutien financier du ministère de la Culture et de la Communication et de l’Agence Nationale de la Recherche.

Références: Marie-Hélène Moncel, Jackie Despriée, Pierre Voinchet, Hélène Tissoux, Davinia Moreno, Jean-Jacques Bahain, Gilles Courcimault, Christophe Falguères Early evidence of Acheulean settlement in northwestern Europe – la Noira Site, a 700 000 year –old occupation in the Center of France, Plos One.

Notes :

(1) -Marie-Hélène Moncel est directrice de recherche CNRS au laboratoire Histoire naturelle de l’Homme préhistorique (MNHN/CNRS). Jackie Despriée est attachée honoraire du Muséum national d’Histoire naturelle. Pierre Voinchet est Maître de conférences du Muséum national d’Histoire naturelle. Hélène Tissoux est chercheur au Bureau de recherches géologiques et minières d’Orléans. Davinia Moreno est post-doctorante au département de Préhistoire, Muséum national d’Histoire naturelle. Jean-Jacques Bahain est Maître de Conférences du Muséum national d’Histoire naturelle. Gilles Courcimault est chercheur associé au département de Préhistoire, Muséum national d’Histoire naturelle. Christophe Falguères est directeur de recherche CNRS, directeur du laboratoire Histoire naturelle de l’Homme préhistorique (MNHN/CNRS).

(2) L’acheuléen désigne une période du paléolithique inférieur et l’industrie lithique caractéristique de cette période comme les bifaces.

(3) Le Pléistocène est la plus ancienne période géologique du Quaternaire et l’avant-dernière sur l’échelle des temps géologiques. Il s’étend d'environ 2,6 millions d'années à 12 000 ans BP. Il est découpé en Pléistocène ancien, moyen et supérieur le Pléistocène supérieur en Europe est associé à la fin des Néandertaliens et à l’arrivée de Homo sapiens.

(4) Les bifaces sont de grands outils en pierre façonnés sur les deux faces pour rendre aigus les bords proches de leur pointe.

(5) L'expression « avant le présent » (en anglais, Before Present : BP) est utilisée en archéologie pour désigner les âges exprimés en nombre d'années comptées vers le passé à partir de l'année 1950 du calendrier grégorien. Cette date a été fixée arbitrairement comme année de référence et correspond aux premiers essais de datation par le carbone 14.

(6) Bloc de pierre débité pour produire des éclats ou des lames pendant la préhistoire.