La marche des Néandertaliens

 

La marche des Néandertaliens

Université Libre de Bruxelles

Source : http://wwwdev.ulb.ac.be/db/revue/articles/16092010/16092010REF_801.pdf 

La marche des Néandertaliens était-elle similaire à celle des humains modernes? Une plateforme ICT nouvellement développée à Bruxelles semble pouvoir apporter pour la première fois des éléments objectifs à cette question.

Les Hominidés (un terme général pour décrire toutes les formes de la lignée humaine, éteintes et vivantes) se distinguent des autres primates par une posture érigée et bipède, et par une marche à grands pas. D’après certains témoignages fossiles, la bipédie chez les premiers hominidés remonterait à plus de 6 millions d'années.

Parmi ces hominidés disparus, les Néandertaliens ont vécu dans nos contrées il y a plus de 35.000 ans. De nombreux fossiles néandertaliens ont été trouvés, mais plusieurs questions persistent quant à leur physiologie et à leur mode de vie : par exemple, la locomotion des Néandertaliens était elle comparable à la nôtre ? Les premiers scientifiques au début du XXème siècle considéraient que les Néandertaliens étaient des créatures velues d’apparence simiesque et aux genoux pliés lors de la marche. Ces idées ont perduré jusqu'à la fin des années ‘50 lorsque ces interprétations furent abandonnées suite à des analyses plus objectives des fossiles.

Aujourd'hui, on admet que la morphologie squelettique des Néandertaliens leur a permis de marcher de la même manière que nous, humains modernes. Cependant peu de données quantifiables permettaient d’étayer cette hypothèse … du moins jusqu’à il y a peu grâce à une nouvelle méthode d’analyse développée à l’Université libre de Bruxelles (ULB).

L’analyse de la locomotion chez les Néandertaliens est difficile car leur espèce est éteinte depuis plus de 30.000 ans et l'observation directe de la façon dont ils marchaient n'est évidemment pas possible. L'utilisation de techniques modernes, telles que l’imagerie médicale et la reconstruction tridimensionnelle (3D) est de plus en plus utilisée en Anthropologie pour l’obtention de données morphométriques. De nouvelles techniques scientifiques développées à l'ULB, Faculté de médecine dans le Laboratoire d'Anatomie, Biomécanique et Organogénèse (LABO en abrégé) vont « un pas » plus loin, et permettent d’ouvrir d’autres perspectives grâce à la combinaison d’informations (les scientifiques parlent de « fusion de données ») de natures différentes : par exemple, la fusion de données morphologiques obtenues à partir de l’imagerie médicale avec des données physiologiques obtenues à partir de systèmes d’analyses de mouvements. Le LABO a été un des précurseurs dans le développement de telles méthodes de fusion pour l’analyse clinique de patients souffrant de problèmes liés à la locomotion. Ces méthodes ont été adaptées dans la présente recherche à l’étude desNéandertaliens.

Cette adaptation a permis à l'équipe du LABO, en collaboration avec l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, de reconstruire virtuellement pour la première fois le squelette complet d’une paire de membres inférieurs de Néandertaliens. Ceci pour tenter de répondre à cette question que les anthropologues se posent depuis le XIXème siècle : les Néandertaliens étaient-ils capables d’une locomotion semblable à la nôtre?

Un problème majeur dans la reconstruction de membres fossilisés entiers, tel qu’ici une paire de membres inférieurs est le manque de spécimens complets. A ce jour, aucun spécimen complet de Néandertalien n’a été retrouvé, ni même un nombre d’os suffisant pour la reconstitution d’un membre entier. Le premier objectif de cette étude était donc de créer d’abord un modèle 3D de membres inférieurs de Néandertalien en utilisant des restes trouvés dans différentes sites. Les os fossiles utilisés appartiennent aux individus de Spy II (découvert en Belgique), Kebara 2 (Israël) et Neandertal 1 (Allemagne). Ces fossiles provenant d’individus différents, les chercheurs du LABO ont dû imaginer une méthode scientifique pour que les différents os disponibles soient mis à la même échelle de façon validée afin d’éviter que les mesures ultérieures soient entachées de sérieux biais expérimentaux. Le modèle 3D ainsi obtenu a été ensuite fusionné avec des données de mouvements effectués par des volontaires, bien vivants ceux-ci. Le but de l’opération était de déterminer si les caractéristiques du squelette obtenu sont compatibles avec la locomotion moderne ou non.

La reconstitution des membres inférieurs fit appel à l’imagerie médicale (par CT-Scan) et à la reconstruction 3D par infographie. Les modèles 3D virtuels ont été traités, reconstruits et analysés à l'aide d'un logiciel appelé lhpFusionBox, développé au LABO. Les outils scientifiques intégrés au sein du lhpFusionBox ont permis l’obtention d’un modèle de membres inférieurs bien proportionné et aussi proche que possible des dimensions du spécimen retrouvé à Spy (voir la figure ci-dessous). Des informations relatives aux muscles des membres inférieurs ont été finalement ajoutées au modèle afin d'introduire une deuxième question relative cette fois-ci à la physiologie néandertalienne: jusqu’à quel point l'architecture robuste du squelette néandertalien confère-t-elle un avantage mécanique aux muscles s’y attachant par rapport au squelette humain moderne ?

L’intégration de l’ensemble des outils de reconstruction et d’analyse au sein d’une même interface, celle du lhpFusionBox, permet d’effectuer et de contrôler chacune des étapes ; condition essentielle à la validation d’une nouvelle méthode scientifique. Cette méthode, ainsi que les résultats associés seront publiés prochainement dans la revue scientifique internationale Palevol sous le titre de «Reconstruction virtuelle des membres inférieurs Néandertaliens et estimation des bras de levier des muscle ischiojambiers».

 

 

Simulation de mouvements effectués par le modèle virtuel. A gauche : le modèle reconstruit et affiché dans le logiciel lhpFusionBox. Outre les os correctement dimensionnés, le modèle y inclut également des informations sur les muscles, les articulations et les mouvements des membres. A droite : quantification des mouvements réalisés (ici du genou droit) ainsi que du bras de levier de ses muscles (ici, le muscle semi-tendineux).

Les auteurs de la méthode peuvent déjà dévoiler les réponses aux questions posées cidessus :

- Du modèle obtenu, ainsi que de la simulation de ses mouvements, rien n'indique que ce Néandertalien ne montrait pas la même amplitude articulaire que la nôtre : ses surfaces articulaires ne présentent pas de comportements non-physiologiques au cours des simulations. Ceci tend à démontrer que les articulations des Néandertaliens montrent une compatibilité mécanique avec la locomotion des humains modernes. Notons cependant que, à côté de l’architecture articulaire, le cerveau est aussi co-responsable du contrôle de nos mouvements. Malheureusement, les données relatives au potentiel cérébral des Néandertaliens demeurent trop fragmentaires pour affirmer si ce dernier était capable de commander et contrôler de tel mouvements. Quoi qu’il en soit, le squelette néandertalien montre une bonne adéquation avec les exigences de la locomotion moderne.

- A taille égale, le squelette récréé virtuellement montre une robustesse plus élevée que celui des humains modernes. Cette nouvelle étude indique que cette architecture conférait aux muscles Néandertaliens un avantage mécanique estimé, selon les muscles considérés, entre 5% et 20%. Ceci corrobore l’idée que cette morphologie robuste permettait d’être plus efficace dans un environnement peu hospitalier (l’Europe possédait à cette époque un climat extrêmement froid comparé au climat actuel). Dans ces conditions, une mobilité accrue était sans doute synonyme d’une plus grande chance de survie.

La méthode ayant fait maintenant ses preuves, cette étude continue par la reconstruction de modèles musculo-squelettiques plus détaillés. Ainsi, le LABO travaille actuellement avec l'Institut Royal des Sciences Naturelles pour créer un modèle virtuel complet du squelette du Néandertalien trouvé à Spy. Une fois obtenu, le modèle final sera utilisé pour générer un squelette complet en 3D et une reconstitution hyperréaliste par les artistes Adrie et Alfons Kennis afin d'être présentés dans le nouvel espace d'interprétation de l'Homme de Spy qui ouvrira ses portes, à Spy, au printemps 2011.

Contact scientifique :

Directeur de projet: Prof Serge VAN SINT JAN, +32 (0)2 555 63 25 (ou 76), +32 (0)495 12 55 93, sintjans@ulb.ac.be

Doctorant: Mme Tara CHAPMAN, tchapman@ulb.ac.be Laboratoire d'Anatomie, Biomécanique et Organogénèse (LABO), Faculté de Médecine, Université Libre de Bruxelles, email : labo@ulb.ac.be.

Autres collaborateurs associés au projet : Dr. Fedor MOISEEV, Prof. Victor SHOLUKHA, Dr Patrick SEMAL, Prof. Stéphane LOURYAN, Dr Patrick SALVIA, Prof Marcel ROOZE