L’australopithèque Little Foot a 3 670 000 ans

PART.2

Le 6 septembre 1994, Ronald J. Clarke découvre, dans une boite d’ossements animaux, quatre petits os d’un pied gauche d’hominidé provenant des déblais du réseau de grottes de Sterkfontein. De cette première découverte viendra le nom de Little Foot, donné par P.V. Tobias, en référence au petit pied qu’il venait d’identifier. En mai 1997, dans une nouvelle boite, il reconnaît d’autres fragments provenant du même pied et un fragment d’un tibia droit. Certain qu’il s’agit des ossements d’un même individu, Ron Clarke missionne ses assistants, Stephen Motsumi et Nkwane Molefe, afin de localiser l’ensemble du squelette. Dans cette immense cavité, remplie des déblais de dynamitages miniers successifs, les deux chercheurs, munis d’un moulage de tibia, trouvent, contre toute probabilité, une connexion osseuse dans la roche.

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Fossile de Little Foot, grotte de Silberberg à Sterkfontein (Afrique du Sud). Peut-être poursuivi par un prédateur, cet australopithèque a fait une chute fatale de plus de vingt mètres, son corps roulant sur un talus d’éboulis, avant de s’immobiliser, un bras tendu au dessus de sa tête, l’autre roulé contre lui. Au fil du temps, sa dépouille a été recouverte par une accumulation de sédiments et de cailloutis, sur plus de dix mètres d’épaisseur. Il serait un quasi contemporain de Lucy. © Laurent Bruxelles, Inrap

Les ossements, très fragiles, sont pris dans un sédiment aussi solide que du béton et il faut attendre août 2010 pour que Ron Clarke et son équipe révèlent la totalité du squelette et ramène à l’air libre le fossile.

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Crâne, face vers le bas, et humérus de Little Foot en cours de dégagement, grotte de Silberberg à Sterkfontein (Afrique du Sud). Le dégagement des os de cet australopithèque, pris dans la gangue rocheuse, requiert une très grande dextérité : le moindre faux mouvement pourrait abîmer irrémédiablement ce fossile unique.© Laurent Bruxelles, Inrap

Le nettoyage des ossements et la reconstruction du fossile sont encore en cours, mais plus de la moitié du squelette a été déjà analysée par micro-tomographie aux rayons X à l’université du Witwatersrand.

Little Foot : Australopithecus prometheus

Ron Clarke classe Little Foot dans l’espèce Australopithecus prometheus. En effet, il se distingue des Australopithecus africanus de la grotte, par une masse corporelle plus importante, un crâne au visage plus plat et allongé et de grosses dents jugales bombées. Little Foot avec ses 3,67 millions d’années est désormais un contemporain des premiers Australopithecus afarensis de Laetoli (Tanzanie) et de Woranso-Mille (Éthiopie). Très différent morphologiquement d’A. afarensis, A. prometheus présente davantage de points communs avec Paranthropus, plus récent, au visage aplati, et aux grosses dents jugales bombées. La datation de 3,67 millions d’années du A. prometheus de Skertfontein soulève de nouvelles questions quant à la diversité et la répartition géographique des premiers hominidés africains, et leurs relations. Cette découverte et sa datation permettent de confirmer que l’Afrique du Sud est un potentiel berceau de l’Humanité, au même titre que l’Afrique de l’Est.

Plus tard, il y a 2 millions d’années, une industrie oldowayenne

Au début des années 1990, Ron Clarke et Kathleen Kuman (université du Witwatersrand, Afrique du Sud) étudient une partie plus récente de la grotte. Ils y découvrent une industrie lithique très ancienne, la première du genre en Afrique australe. D’après la faune, ils estiment son âge entre 1,7 et 2 million d’années. En 1994, Kathleen Kuman annonce que cette industrie est oldowayenne puis publie, en 2009, les 3 500 pièces découvertes. Connu dès 2,6 millions d’années en Afrique de l’Est, l’Oldowayen se caractérise par une technologie simple et des outils sur éclat à partir de galets. Les bifaces et les hachereaux en sont absents, eux qui marquent l’avènement de la culture acheuléenne vers 1,7 MA dans l’est et le sud de l’Afrique (à Sterkfontein et dans la province du Cap-du-Nord). Pour dater cette industrie de Sterkfontein a été utilisé un galet apporté sur site par les hominidés oldowayens, et ce afin d’écarter tout risque de remaniement sédimentaire. Dans cette même publication de Nature, les chercheurs annoncent également sa datation de 2,18 millions d’années (± 0,21 million d’années). Elle est comparable à celle de 2,19 millions d’années (± 0,08 million d’années), publiée récemment pour l’industrie oldowayenne du site voisin de Swartkrans, et montre que le berceau de l’humanité sud-africain abritait aussi des hominidés produisant des outils il y a 2 millions d’années ou auparavant. Ainsi, l’Odowayen est présent, de manière récurrente, en Afrique australe vers 2 millions d’années, les hominidés pourvus d’outils ont donc peuplé cette partie de l’Afrique bien plus tôt qu’on ne le pensait. Il est désormais évident que la rareté des sites de cette période en Afrique australe est liée à la rareté des recherches et non à l’absence d’hominidés. Les débats font rage quant aux artisans de cette industrie, mais de nombreux chercheurs s’accordent à penser qu’il s’agit de la production de l’une des premières espèces d’Homo, par exemple l’Homo habilis (répertorié au Malawi et en Afrique de l’Est entre 2,4 et 1,8 millions d’années,  à Swatkrans vers 1,8 million d’années, voire plus tôt).

Références de l’article

GRANGER D., GIBBON R., CLARKE J., BRUXELLES L. et CAFFEE M. – 2015. - New cosmogenic burial ages for Sterkfontein Member 2 Australopithecus and Member 5 Oldowan. Nature.