L'archéologie française file un mauvais coton

 

L'archéologie française file un mauvais coton

Louis-Pol Delestrée 

Source -- http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/03/l-archeologie-francaise-file-un-mauvais-coton_1487428_3232.html

 

Une chape de plomb est tombée sur la recherche archéologique pour des raisons qui étaient pourtant prévisibles.

Dans ce paysage, force est de constater que la place de l'archéologie bénévole est devenue à peu près nulle : elle a été marginalisée, imprudemment détruite sous toutes ses formes. Aussi bien sa collaboration sur les chantiers de l'Inrap (Institut national de recherche archéologique préventive) n'est elle pas possible, selon le ministère de la culture, pour de mauvaises raisons telles que l'absence de contrat de travail obligatoire, de protection sociale, etc. Le vrai motif est que dans le régime actuel de l'archéologie préventive, la candidature d'équipes très peu coûteuses serait considérée par d'aucuns comme un "dumping social".

Par ailleurs, les chantiers de fouilles programmées offrent en théorie un cadre aux amateurs. Mais il faut bien réaliser que faute de crédits ou en raison de blocages administratifs, ces chantiers se sont réduits comme peau de chagrin. Pour une époque déterminée, il n'est pas rare qu'un seul chantier s'y rapportant soit destiné aux fouilles dans une région comprenant quatre à cinq départements. Or, si l'on prend en compte les membres de l'encadrement, les vétérans de l'équipe et les étudiants prioritaires, l'accès aux bénévoles devient dérisoire. En outre, les chantiers dirigés par les bénévoles, si compétents soient-ils, sont devenus rarissimes : A cet égard, la magnifique fouille de l'ensemble gallo-romain de Chateaubleau (S. et M.) fait figure d'exception.

Est-ce à dire pour autant qu'une archéologie professionnelle n'était pas indispensable ? Certainement pas. Il est tout à fait évident qu'une généralisation de l'archéologie préventive suppose des structures pérennes, disponibles à tout moment sur l'ensemble du territoire et placées sous une direction centralisée.

Est-ce à dire que les opérations de fouilles soient de meilleure qualité que celles menées naguère par les équipes bénévoles ? La réponse doit être nuancée. Certes, les techniques ont évolué. De même, les analyses métalliques se sont affinées. Cependant, les équipes actuelles mènent leurs fouilles avec les mêmes outils et appareils de visée que ceux utilisés naguère par les anciennes équipes dont les relevés topographiques étaient tout à fait fiables. La spécialisation professionnelle n'est pas en soi une condition de réussite : en contrepoint de très belles opérations de fouilles, comme celles des tombes franques aristocratiques de Saint-Dizier, il faudrait citer bien des opérations médiocres et peu signifiantes, certaines mal conduites comme la fouille récente de la Caillaudière à Sallertaine en Vendée.

Est-ce à dire que les résultats scientifiques soient supérieurs à ceux que l'on obtenait naguère ? Rien n'est moins sûr : la finalité d'une fouille réussie est sa publication, c'est-à-dire la venue au jour de ses résultats et ses apports. Or, la carence chronique de publications exhaustives reste préoccupante. Pourtant, le nombre des spécialistes français et leur compétence ne sont pas en cause : ils sont mal informés et mal utilisés et ne disposent pas de supports satisfaisants pour faire connaître leurs travaux. Sur 200 opérations de fouilles annuelles menées par l'INRAP, combien seront publiés dans des délais raisonnables ?

UNE FAUTE MAJEURE

Bref, l'abandon volontaire de l'archéologie bénévole fut à coup sûr une faute majeure qu'il sera très difficile de corriger.

Si la mise en œuvre d'une archéologie professionnelle fut bien une nécessité dans le dernier tiers du XXe siècle, elle n'était nullement exclusive de l'archéologie traditionnelle à laquelle on devait tant, et qui aurait pu lui apporter l'appoint indispensable qui lui fait à présent défaut.

Or, au lieu de rallier les amateurs encore disponibles et de recréer les conditions d'un rapport de confiance, les autorités choisissent ce moment précis pour s'en prendre à présent aux adeptes de la prospection de surface pratiquée par les utilisateurs de détecteurs de métaux (UDM). Dernier refuge sur le terrain d'amateurs curieux et parfois dévoyés, ces prospecteurs tombent sous le coup d'une loi de décembre 1989 qui a échoué dans tous ses objectifs et se révèle préjudiciable pour la Communauté scientifique.

Sur un plan général, il faut admettre que l'effectif global des bénévoles, si l'on inclut tous les prospecteurs, représente près de vingt fois le contingent d'archéologues professionnels sur le terrain. Or il est évident que le champ d'action n'a jamais été aussi vaste pour des intervenants bénévoles.

De façon générale, les amateurs devraient être sollicités comme ils l'étaient naguère pour accomplir des tâches que l'archéologie professionnelle peine à réaliser notamment dans l'inventaire et la définition des sites en milieu rural. En outre, l'effarante inflation des destructions en tout genre de sites archéologiques non fouillés offre aux interventions de sauvetage un champ d'action considérable.

Louis-Pol Delestrée, docteur d'Etat en histoire ancienne