L’Archéologie a retrouvé l’Histoire de France

Une mise en place rapide ?

Jean-Paul Demoule: Non, la découverte de la chronologie fine de l’apparition du mégalithique a effacé son caractère de surgissement brutal et inexplicable. En réalité, les dolmens de pierre ont été précédés de tombes moins spectaculaires en bois et terre dont les traces, certes délicates à distinguer, ont été retrouvées et datées. Elles montraient une première différenciation sociale.

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(photo, Hervé Paitier) 

L’un des sites célèbres, celui de Carnac montre bien qu’avant d’aligner des menhirs, les hommes ont construit des tertres en terre. Ce n’est pas rien, au plan de l’histoire de nos sociétés mais aussi de la réflexion sur leur devenir, que l’archéologie ait mis à jour la généalogie de la domination et l’exploitation de l’homme par l’homme, et montré d’ailleurs qu’elle n’ait pas été de soi, sans résistances ni reculs. Reste à expliquer, par exemple, pourquoi certains hommes ont voulu être plus puissants et riches que d’autres. Et comment la manipulation de l’imaginaire a pu être aussi efficace. Comment l’idée que le chef et exploiteur avait un destin spécial après la mort, qu’il bénéficiait d’une essence différente – comme le Pharaon dont les rituels sont nécessaires à la crue du Nil – d’une relation spéciale avec le surnaturel et les dieux, a pu être imposée mais aussi partagée par les dominants et les dominés. La dialectique du maître et de l’esclave est au cœur de cette archéologie.

Le grand mystère français, c’est celui de la Gaule. Sait-on désormais qui étaient «nos ancêtres les Gaulois» ?

Jean-Paul Demoule: Oui, leur image a complètement changé. Nous savons que 300 ans avant Jésus-Christ, la Gaule est densément peuplée, quadrillée de fermes aristocratiques de grandes dimensions et lieux de pouvoirs politiques. Deux siècles avant la conquête, apparaissent des formes d’États, environ 60, centrés autour d’autant de villes fortifiées – des oppida - où se concentrent les fonctions économiques, religieuses et politiques.

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 (Photo, casque oiseau de Tintignac, Patrick Ernaux)

La très grande majorité de ces oppida découverts depuis vingt ans par l’archéologie préventive était absente des textes antiques et ignorée des historiens. Elles montrent un urbanisme organisé, avec des rues à angle droit, des bâtiments spécialisés, un artisanat très sophistiqué – bois, fer, salaison de porcs… - et une économie monétaire. Les villes battaient monnaies, avec même un alignement sur le denier romain pour le quart sud-est de la France bien longtemps avant la conquête, une sorte de zone monétaire intégrée avec l’empire romain.

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 (Trésor de Laniscat, Hervé Paitier)

L’une des grandes découvertes ce sont ces sanctuaires, vastes espaces clos avec de grands bâtiments de bois où se déroulaient des cérémonies religieuses… les Gaulois avaient des temples et ne se réunissaient pas dans la forêt pour des réunions sacrées, avec druides et gui.

Dans la révision de l’historiographie, vous affirmez que la chute de l’empire romain n’a pas existé. N’allez-vous pas un peu loin ?

Jean-Paul Demoule: Cette idée des invasions barbares dévastatrices est une manipulation de l’histoire qui s’opère dès le Moyen-Âge. En fait, la relocalisation des élites à la campagne et la rétraction de la population des villes débutent dès le IIème/IIIème siècle. Et les villes sont dès lors moins densément peuplées, avec des sortes de potagers urbains. 

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(Ci-dessous sépulture mérovingienne à Lagny sur Marne,  © Laure Pecqueur, Inrap)

En revanche, l’archéologie n’observe pas de traces de destructions massives dans les villes, et à l’inverse les campagnes montrent une solide continuité des grandes exploitations agricoles à travers cette période soit disant bouleversée. Du coup, cela a conduit les historiens à une relecture des textes vers des migrations de groupes qui voulaient s’intégrer à l’empire. C’est plutôt un phénomène de réorganisation lent, sur trois siècles, avec des implantations d’élites qui négocient leur entrée.

En 1846, la France crée l’Ecole Française d’Athènes, il faut attendre 2002 pour la création de l’INRAP : nos élites ont-elles un problème avec notre histoire ?

Jean-Paul Demoule: Lorsque je me suis occupé de la loi qui a fondé l’INRAP que j’ai présidé, j’ai été frappé par les résistances acharnées que des responsables politiques, de droite et de gauche, opposaient à ce projet puis aux fouilles. L’explication économique me semble faible pour une telle agressivité. On parle d’impact léger, d’environ 1% du coût des travaux sur une ligne de chemin de fer. Pourtant, l’archéologie préventive est présentée comme un fardeau qui gênerait l’économie ou les aménagements. Or ces gens-là disent tous qu’ils adorent l’archéologie, qu’ils ne ratent ni le Parthénon d’Athènes ni le Machu-pichu, ni les Pyramides. Peut-être cela vient-il de ce que notre récit national se construit sur une série de défaites – dont la première est celle des Gaulois, vaincus. Mais d’autres peuples – les Serbes, les Bulgares… - l’ont fait sans problème. Chez nous, peut-être est-ce un non-dit. On a enseigné la culture du vainqueur, du Romain. Lorsque Napoléon-III fait fouiller à Alésia, pour faire appel aux Gaulois en écho à sa dictature qu’il veut populaire, la réaction des Républicains sera de prendre la posture inverse. Et comme les acteurs suivants à se référer aux Gaulois seront Pétain

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 et aujourd’hui le Front National, on imagine bien que cela ne favorise pas un regard curieux et bienveillant des intellectuels.Le paradoxe c’est que c’est François Mitterrand qui a lancé les fouilles du Mont Beuvray – la capitale des Eduens, peuple gaulois allié de César – et il le fait avec un grand discours sur l’unité du peuple. On voit bien que les responsables politiques ont très souvent une vision de notre passé très utilitaire. Dès lors, l’archéologie n’est bien vue que si elle l’alimente.

Nous venons de vivre un quinquennat marqué par la volonté de faire de l’identité nationale un marqueur politique… que dit l’archéologie de ce qu’est la France ?

Jean-Paul Demoule: Elle montre que l’histoire de la France est celle de brassages et de mélanges. Et que l’idée d’une permanence et d’une essence de «La France» est finalement sans fondement. Chateaubriant déjà le montrait en se moquant des cérémonies à la mémoire de Clovis. Il n’y a jamais eu de commencement de la France, il y a une construction permanente, qui implique tous les habitants, d’où qu’ils viennent. Il est regrettable qu’on ne trouve pratiquement rien de ces découvertes dans les manuels et les programmes scolaires actuels – de la primaire à la terminale. Est-ce un simple retard ? Ou un signe plus grave. Pourquoi l’enseignement ignore t-il totalement la généalogie et l’origine de la construction des inégalités, des États, des stratifications sociales ? Pourquoi débuter par les grandes civilisations étatiques, comme si leur émergence ne réclamait pas une explication historique mais relevait d’une nécessité quasi «naturelle», ou «surnaturelle» d’ailleurs. Il y a là un aspect subversif de l’archéologie puisqu’elle incite à s’interroger sur ces soubassements de nos sociétés inégalitaires et donc à les mettre en cause.

Quel est le bilan de l’INRAP ?

Jean-Paul Demoule: L’Institut a tenu le choc devant les tentatives de privatiser les fouilles préventives qui ne peut que morceler et affaiblir cette activité au nom du seul principe de la libre concurrence. Surtout, au-delà des résultats de chaque fouille, c’est justement l’existence de l’Institut national qui a permis d’en tirer le maximum de résultats scientifiques en mettant chacune d’elle en perspective, en mutualisant les résultats. Au-delà du milieu scientifique, le grand public en bénéficie directement avec des livres de synthèse, des restitutions par les images, les textes, des vidéos, des expositions, des reconstitutions. L’actuelle exposition sur les Gaulois, à la Villette (jusqu’au 2 septembre 2012), est certainement la première à offrir une vision scientifiquement correcte de nos ancêtres, elle résulte d’une rencontre de la direction de l’INRAP avec celle de la Cité des Sciences.