L'apparition des premières caries, il y a quelque 11 000 ans...

L'apparition des premières caries, il y a quelque 11 000 ans...

Stéphane Foucart

Source - http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/02/02/l-apparition-des-premieres-caries-il-y-a-quelque-11-000-ans_1637899_3244.html#xtor=AL-32280515

L'histoire du genre humain est ponctuée de révolutions alimentaires. Celle de son dernier représentant à la surface de la Terre, Homo sapiens - c'est-à-dire l'homme moderne -, l'est aussi. La tribune de Robert Lustig, Laura Schmidt et Claire Brindis (université de Californie à San Francisco, Etats-Unis), publiée, jeudi 2 février, dans la revue Nature et appelant à réguler la consommation moyenne de sucre dans les pays du Nord et les pays émergents, s'inscrit peut-être dans cette succession de changements nutritionnels brutaux. Jamais en tout cas, depuis l'émergence de notre espèce, il y a 200 000 ans environ, Homo sapiens n'avait globalement été soumis à un régime alimentaire aussi riche en glucides.

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Le dernier grand bouleversement du genre s'est produit au début de l'holocène, il y a quelque 11 000 ans, avec la révolution néolithique. Marquée par la maîtrise de l'élevage et de l'agriculture - acquise de manière distincte dans diverses régions du globe -, cette révolution a vu l'augmentation rapide et inédite de la quantité de sucres dits "lents" dans l'alimentation, offerts par les céréales nouvellement domestiquées.

Ce bouleversement n'a pas été sans effets sur les populations. Les caries dentaires, presque inconnues chez les populations de chasseurs-cueilleurs du paléolithique supérieur, "commencent à apparaître", dit Mark Guillon, anthropologue à l'Institut national de recherches archéologiques préventives.

"DÉCLIN DE L'ÉTAT DE SANTÉ"

Beaucoup moins répandues qu'aujourd'hui, elles sont néanmoins utilisées, dans certaines régions d'Asie, pour différencier les populations d'agriculteurs de celles de chasseurs-cueilleurs.

En 2002, Mike Richards (département des sciences de l'archéologie, université de Bradford, Royaume-Uni) avait synthétisé, dans l'European Journal of Clinical Nutrition, la littérature scientifique disponible sur les effets sanitaires de la transition nutritionnelle du néolithique, également marquée par la sédentarisation, l'augmentation de la démographie et l'apparition des strates sociales.

Ses conclusions étaient qu'outre cette apparition des caries, "dans plusieurs régions, il y a un déclin général de la stature, de la taille de la dentition". Le tout associé, de manière extraordinairement contre-intuitive, "à un déclin général de l'état de santé des individus, comme cela est suggéré par les restes humains".

L'alimentation n'est pas seule en cause dans ce constat. Car, comme l'explique M. Guillon, "le néolithique est aussi la période qui voit apparaître des troubles de posture", ce que la médecine du travail actuelle a rebaptisé "troubles musculo-squelettiques". L'agriculture ne change pas seulement l'alimentation des hommes : elle les contraint aussi aux servitudes nouvelles de tâches répétitives et pénibles. Les temps modernes avant la lettre, en somme.