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Jabal Moussa (LIBAN) - L’archéologie pourrait contribuer à écrire l’histoire de Jabal Moussa

 

L’archéologie pourrait contribuer à écrire l’histoire de Jabal Moussa

May Makarem

Source  http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/684143/L'archeologie_pourrait_contribuer_a_ecrire_l'histoire_de_Jabal_Moussa.html 

 

Jabal Moussa n'abrite pas seulement une réserve de biosphère. Outre sa végétation dense qui sert de lieu d'habitat à une faune variée, ce site offre un paysage karstique d'une grande beauté et conserve dans son sous-sol des vestiges romains et byzantins, révélés dans la publication intitulée « Jabal Moussa, entre mythe et réalité, à travers 22 témoignages ».

Après les cèdres du Chouf et le mont Rihane, Jabal Moussa est la troisième réserve de biosphère classée par l'Unesco au Liban. Elle fait partie désormais d'un réseau mondial qui en compte 553 dans 107 pays. Située entre Nahr el-Dahab (Kesrouan) et Nahr Ibrahim (Jbeil), elle couvre une superficie de 1 250 hectares où « presque toutes les familles du monde végétal méditerranéen y sont représentées », signale Henriette Tohmé dans un livret intitulé Jabal Moussa, entre mythe et réalité, publié par l'Association de protection de Jabal Moussa (APJM). Biologiste, membre du Conseil national de la recherche scientifique et coauteur de plusieurs ouvrages et articles sur la flore du Liban, Tohmé indique que la réserve - nichée entre 500 mètres et 1 500 mètres d'altitude - regroupe des plantes aussi bien du littoral que de haute altitude. Un peu plus de 450 espèces sont recensées dont plus d'une moitié n'existe pas en Europe et plusieurs d'entre elles sont considérées comme plantes comestibles ou médicinales. 
Elle relève aussi que la forêt représente la limite sud de « deux arbres de l'époque glacière » : le charme houblon (Ostrya carpinifolia Scop ) et le chêne chevelu (Quercus cerris pseudocerris, connu également à Maghdouché). De même, six plantes endémiques signalées « uniquement au Liban et nulle part ailleurs » poussent dans la réserve. Il s'agit du Malus triloba (l'ancêtre des pommiers), du cyclamen du Liban, de la pentapéra, de l'aspérule du Liban (une rubiacé qui caractérise les boisements depuis Bickfaya jusqu'à Jabal Rihane) ; de la Pouckinie et d'une crassulacée, la Rosulaire du Kesrouan. 



Un collier de villages abritant des vestiges
Mais au-delà de sa flore et de sa faune (la réserve est le lieu d'habitat des espèces animales suivantes : écureuils, loups, hyènes, renards, gerbilles et sangliers sauvages...), Jabal Moussa (réputé pour la vallée d'Adonis) pourrait être « la mémoire d'une richesse historique », révèle un archéologue qui a voulu garder l'anonymat. « La présence de tombeaux rupestres, de vestiges de constructions ou encore de tessons de céramiques repérés à la surface du sol sont autant d'indices archéologiques », fait-il observer, ajoutant qu'en l'absence d'une prospection archéologique, on ne peut savoir ce que représentait cette zone dans l'Antiquité.
Les ruines des anciennes terrasses agricoles et des sentiers datant de la période romaine soulèvent toutefois des questions et stimulent la curiosité. L'occupation de Jabal Moussa pourrait remonter très loin dans le temps, à l'instar d'une région voisine, Yanouh (au centre de la vallée du Nahr Ibrahim, à 1 165 m d'altitude), où des campagnes de fouilles menées entre 1999 et 2005 par la mission archéologique libano-française ont permis de comprendre l'histoire - totalement méconnue - de l'occupation de la montagne libanaise, depuis le IIIe millénaire avant J.-C. jusqu'au XVe siècle de notre ère. Les découvertes archéologiques ont en effet fourni les témoignages d'une implantation de communautés rurales organisées et denses à l'âge du bronze ancien et récent et à l'âge du fer, et ont révélé la présence d'un bâtiment de culte, daté de l'époque hellénistique, de deux temples romains et d'une basilique byzantine, sans oublier une inscription araméenne, une rareté. Les très nombreuses chapelles en ruine, pour la plupart médiévales, ont d'autre part apporté une documentation importante sur le Moyen Âge, période où Yanouh a abrité le siège du patriarcat maronite. 
Comme Yanouh, Jabal Moussa pourrait contribuer à écrire l'histoire. Son sous-sol qui attend les prospections archéologiques a déjà dévoilé quelques trésors : de la voie romaine, qui reliait autrefois la côte à Ghiné, puis continuait le long du Nahr Ibrahim en direction du temple d'Astarté à Afqa, « apparaissent aujourd'hui des traces d'un escalier dont de nombreuses marches - larges paliers de plus d'un mètre de long et presque deux mètres de large - sont constitués des moellons ainsi qu'il était d'usage à l'époque romaine », relève un archéologue qui a voulu garder l'anonymat, ajoutant que Ghiné abrite aussi les ruines d'une église proto-byzantine construite sur un temple romain à antes. Les fouilles menées sur le site, entre 1958 et 1962, ont permis d'exhumer une basilique à trois nefs recouverte d'un pavement de mosaïque à motifs animaliers, géométriques et floraux. Et les monnaies déterrées de sous le mortier des mosaïques attestent que la basilique a été utilisée dès le milieu du Ve siècle, précise le spécialiste. Un bas-relief gravé sur un pan de rocher fait aussi la renommée de ce village. Sur une des parois est représenté un homme affrontant un ours. Sur une seconde stèle figure une femme assise et un personnage tenant un épieu, faisant face à deux chiens. Cette scène offre suffisamment de parallèles avec la légende d'Adonis pour qu'Ernest Renan la décrive, dans Mission de Phénicie, comme étant la représentation d'Adonis en lutte avec un sanglier. L'archéologue Henry Seyrig voit, quant à lui, une scène de chasse accompagnée de la représentation d'une femme pleurant le décès d'un chasseur. 
D'autres villages bordant Jabal Moussa conservent également un nombre de vestiges. À Ghbalé, des pressoirs témoignent d'une activité agricole. À Yahchouch, un monastère, construit au XIXe siècle et dédié à saint Georges, aurait été élevé sur les vestiges d'un temple romain. À Qahmez, des sarcophages antiques ont été mis au jour. À Brokta, des fragments d'amphores et de poteries datant des Ier et Ve siècles avant J.-C. ont été trouvés. Nahr el-Dahab et Jouret el-Termous, pour ne citer que ceux-là, « possèdent chacun une richesse culturelle et historique que l'on ne peut aujourd'hui que soupçonner, en attendant un travail approfondi de recherche scientifique », dit le spécialiste. 
Dans un autre chapitre, le spéléologue Hani Abdel Nour décrit les cimes de ce massif, caractérisées par un labyrinthe de rochers torturés par l'érosion, et des dolines profondes... Il signale deux inscriptions forestières de l'empereur Hadrien, et pense qu'il y en a peut-être d'autres mais qu'il fallait une exploration systématique des hauteurs pour les découvrir. Abdel Nour indique qu'un paysage karstique cache parfois des merveilles souterraines qui restent encore à explorer. En attendant, les spéléologues se penchent aujourd'hui sur l'étude des couches géologiques les plus anciennes du Liban (début de l'ère secondaire) qui se trouvent au niveau même de Nahr Ibrahim non loin de Qerqraya. 
La réserve comprend également un habitat rural de haut plateau dont une bonne description est donnée par l'architecte-archéologue Yasmine Makaroun Bou Assaf qui insiste sur les « interventions préliminaires d'urgence » à entreprendre pour préserver le hameau...