Heuneburg (Allemagne): Le trésor du Keltenblock

Après avoir été transportée en bloc pour être fouillée en laboratoire, la chambre funéraire de la « Dame de la Heuneburg » livre ses secrets.

François Savatier

Source - http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-le-tresor-du-keltenblock-29391.php

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Monuments historiques du Baden-Württemberg - L'une des « boules de Noël celtes » trouvées par les archéologues dans la tombe de la Dame de la Heuneburg. Il s'agit de l'un des éléments d'un riche pendentif dont a été ornée la défunte.

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Monuments historiques du Baden-Württemberg - L'une des deux fibules en or massif retrouvées. Son poids conséquent suggère que l'étoffe dont était faite la riche tunique de la Dame de la Heunenburg était plutôt raide. 

 emplacementtombe-web.jpgMonuments historiques du Baden-Württemberg - La chambre funéraire a été recherchée et retrouvée dans un champ de maïs après qu'un archéologue est tombé sur une fibule d'or au milieu du champ en 2005. Il s'agissait de celle d'une petite fille de haut rang enterrée non loin de là. Par chance, la chambre funéraire de la Dame de la Heunenburg était enfouie assez profondément pour que la charrue l'épargne…

L'Istros [nom grec du Danube] commence en effet dans le pays des Celtes, auprès de la ville de Pyrène et traverse l'Europe par son milieu. Les celtes sont au-delà des colonnes d'Héraclès et touchent aux Cynésiens [c'est-à-dire aux peuples ibériques] qui sont les derniers peuples du côté du couchant.
Hérodote, Histoire, Livre II

L'an 580 avant notre ère, près des sources du Danube : des Celtes parent une défunte de haut rang, puis la couchent dans une chambre en bois qu'ils protègeront d'un tertre après l'avoir fermée. Mars 2012 : les archéologues des Monuments historiques du Baden-Würtemberg, en Allemagne, dégagent les derniers bijoux de la Dame de la Heuneburg, qui, après 2 600 ans, luisent à nouveau, mais à la lumière des néons ! 

Le Keltenblock, c'est-à-dire le « bloc celte », est en effet la première chambre funéraire fouillée... dans une chambre. Il est connu dans toute l'Allemagne, car il a été prélevé devant les caméras de télévision. Pour les spécialistes du premier âge du fer d'Europe – aussi nommé civilisation du Hallstatt (VIIIe - Ve siècle avant notre ère) –, sa découverte en décembre 2010 fut aussi un événement sensationnel. Il s'agit en effet de la première tombe d'apparat découverte intacte à la Heuneburg. Tous les archéologues de l'âge du fer connaissent cette citadelle celte surplombant le Danube non loin de Sigmaringen, en Forêt Noire. Il s'agit non seulement d'un lieu majeur de la civilisation du Hallstatt, mais de la meilleure candidate au rôle de la cité de Pyrène évoquée par Hérodote. Or malgré les dizaines de tumulus retrouvés dans la région, aucune tombe d'apparat n'avait jamais été découverte inviolée à la Heuneburg.

C'est à l'archéologue Dirk Krausse, qui dirige les Monuments historiques du Baden-Würtemberg, et à la restauratrice Nicole Ebinger-Rist qu'a incombé la responsabilité de prélever les éléments de ce rarissime assemblage funéraire. Il semblait d'autant plus prometteur qu'un jeu de circonstances exceptionnelles l'a protégé : pour commencer, la chambre funéraire en planche de sapin et de chêne à l'origine du Keltenblock s'est écroulée assez vite pour décourager les pillards. La proximité d'un ruisseau a aussi maintenu le sol dans une humidité constante, ce qui, chose rare étant donné le sol acide de la région, promettait la découverte de matériaux organiques. Enfin, les planches qui palissaient cette grande caisse de quatre par cinq mètres sont intactes, ce qui devrait permettre une datation par dendrochronologie à l'année près.

Face à un tel trésor scientifique, D. Krausse et N. Ebinger-Rist devaient obtenir les moyens d'optimiser la fouille. Leur efforts en ce sens ont sans doute été promis au succès dès décembre 2010, quand la fouille d'environ 20 pour cent de la chambre a livré ce qu'ils ont nommé devant les journalistes les « boules de Noël celtes ». La riche décoration de ces sphères se portant en sautoir comprend un filigrane en fils d'or, qui signe clairement le travail de joaillers étrusques de haut niveau. Peut-être est-ce leur exhibition devant la presse, soigneusement orchestrée, et l'intérêt des 11 000 visiteurs venus ensuite visiter l'exposition temporaire montée au musée de la Heuneburg après la découverte, qui a décidé les autorités du plus riche Land d'Allemagne à débloquer les moyens nécessaires à l'extraction en un seul bloc de la tombe ?

Quoi qu'il en soit, après un an de préparation, un bloc de 80 tonnes contenant la chambre funéraire a été extrait du sol, puis acheminé par camion jusqu'à Ludwigsburg, où six restaurateurs le défont minutieusement depuis plus d'un an. Cette équipe a procédé récemment au dégagement de la seconde partie des bijoux. Elle consiste d'abord en une ornementation d'or de 26 centimètres de long destinée à une tunique, qui  rappelle les ganses d'or et d'argent de la tunique funéraire de la Dame d'Aigéai (une princesse macédonienne enterrée vers 500 avant notre ère) ; elle comprend ensuite deux fibules d'or massif (40 grammes) de 11,4 centimètres de long et une boucle d'oreille (43 grammes).

Cette « découverte » devant les caméras est un sacrifice volontiers consenti par les archéologues aux dieux du spectacle qui conditionnent la recherche. Pour autant, ces riches bijoux véhiculent des informations intéressantes, telles que leur provenance étrusque et la grande richesse qu'elle traduit. En outre,  ils proviennent manifestement du même atelier que ceux d'une tombe voisine. Au cours de l'année 2005, Siegfried Kurz, de l'Université de Tübingen, était en effet tombé par hasard sur une fibule dorée dans un champ de maïs. Des fouilles avaient alors permis de retrouver une autre fibule, un magnifique pendentif doré et la dent d'une petite fille de quatre à cinq ans. La fille de la princesse ? Les archéologues tenteront si possible de répondre à cette question par la génétique.

Comme promis, les fouilles ont déjà fourni de précieux restes organiques, certes moins spectaculaires que l'or, mais pas moins précieux, notamment parce qu'ils permettent de reconstituer la cérémonie funéraire. Les planches en font partie au premier chef : le plus ancien de leurs cernes de croissance coïncide avec l'an 609 avant notre ère. Les archéologues estiment toutefois que la princesse a été enterrée vers 580 ou 590 avant notre ère, ce que la datation de nouvelle planches confirmera ou infirmera.

Si le squelette de la Dame de la Heuneburg a disparu, hormis des restes de calotte crânienne, la répartition des bijoux en or, bronze et ambre de la Baltique qu'elle portait aux oreilles, au cou, autour des hanches ainsi qu'aux poignets et aux chevilles évoquent sa présence dans la tombe. En fort mauvais état de conservation, les débris de son crâne ont cependant pu être tomographiés, ce qui a confirmé le sexe de la défunte et révélé qu'à son décès, elle était âgée de 30 à 40 ans.

Une suivante l'accompagnait dans la mort. Sans doute y fut-elle obligée. Assez bien conservé, son squelette promet d'intéressantes études anthropologiques et génétiques. Forme probable de victuailles de voyage pour l'au-delà, un cochon entier, dont on apprendra s'il fut débité et préparé, était aussi du voyage ; apparemment, les poteries présentes ne contenaient rien. Retrouvés près d'une paroi, des entrelacs attestent que la tombe avait été soigneusement décorée pour la cérémonie funéraire. Leur fibres ainsi que celles des restes de l'habit et de tissages restent à déterminer. Des peaux équipées d'un anneau ont aussi été retrouvées, sans que l'on sache pour le moment de quels animaux elles proviennent. L'étude du Keltenblock va se poursuivre encore plusieurs années, mais il est d'ores et déjà clair qu'il s'agit de la plus ancienne et la mieux conservée des tombes d'apparat hallstattiennes connues.

Pour en savoir plus

Le site consacré aux fouilles (en allemand) :http://www.keltenblock.de/