Herxheim (Allemagne) : Pratiques de cannibalisme au cours du Néolithique ancien

 

Pratiques de cannibalisme à Herxheim au cours du Néolithique ancien

CNRS

Source - http://www.cnrs.fr/inshs/recherche/herxheim.htm 

 

Une recherche franco-allemande s'est intéressée aux pratiques de cannibalisme du Néolithique ancien sur le site d'Herxheim en Allemagne. 

Le site de Herxheim, situé au sud du Land allemand de Rhénanie-Palatinat, a été découvert par prospection de surface dans les années 1980, puis a fait l’objet de deux campagnes de fouille, de 1996 à 1999 et de 2005 à 2008.

Son étude est actuellement assurée par une équipe internationale et pluridisciplinaire rassemblée autour d’un projet d’étude financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft, qui implique, pour la France, des chercheurs des universités de Bordeaux (UMR 5199, « De la Préhistoire à l’actuel : culture, environnement et anthropologie – Laboratoire d’anthropologie des populations du passé ») et de Strasbourg (UMR 7044, « Étude des civilisations de l'Antiquité : de la Préhistoire à Byzance »).

Les structures mises au jour à Herxheim proviennent d’un village occupé entre 5300 et 4950 avant notre ère. La principale d’entre elles est une enceinte trapéziforme qui enclot une surface d’environ 5 hectares, composée de deux « pseudofossés » – car résultant en réalité de recoupements multiples entre un grand nombre de fosses – à vocation probablement cérémonielle.

Au Rubané final, ces fosses deviennent les réceptacles de dépôts spectaculaires composés pour l’essentiel de restes humains, généralement sous la forme de fragments osseux dont le nombre peut aller jusqu’à plusieurs milliers.

 

Photo d'ensemble du dépôt 9 du fossé d'enceinte de Herxheim.


© Fabian Haack, GDKE Rheinland-Pfalz / Direktion Landesarchäologie – Speyer

Un soin particulier a été réservé aux crânes retrouvés le plus souvent sous forme de calottes taillées et intentionnellement rassemblées.

 

Vue de détail du rassemblement intentionnel des calottes crâniennes du dépôt 16 du fossé de Herxheim
© Cliché Fabian Haack, GDKE Rheinland - Pfalz / Direktion Landesarchäologie – Speyer

Les restes humains découverts jusqu'à présent proviennent d'environ 400 à 450 individus. Sachant que la partie fouillée ne représente qu'une moitié de l'enceinte, il convient probablement de considérer que ce phénomène a impliqué près d’un millier de personnes.

Les dépôts contiennent également, en proportions variables, des éléments de faune sélectionnés, des outils en pierre et en os, de rares objets de parure et surtout de la céramique. Cette dernière possède deux caractéristiques essentielles :

1/ une homogénéité chronologique qui permet d’évaluer la durée de l’épisode à dépôts humains à moins d’un demi-siècle ;

2/ une pluralité des styles qui atteste l’existence de contacts entre plusieurs régions dont certaines éloignées de plusieurs centaines de kilomètres (jusqu’à 400-450 kms). À cela s’ajoute le fait que ces vases d’origine externe figurent parmi les pièces les plus remarquables des différentes traditions céramiques représentées.

 

Vase de style Rhin-Main
© Pascal Disdiers, CNRS Strasbourg

Les restes humains ont récemment fait l’objet d’une première étude détaillée qui a conduit à de nouvelles hypothèses (Antiquity, 83 (2009) : 968–982). Ils portent d’abondantes modifications d’origine anthropique, qui correspondent d’une part à des traces de découpe des cadavres, d’autre part à des modifications liées à la fracturation de leurs os.

 

Stries de découpe sur une calotte et sur une mandibule humaines du site de Herxheim
© B. Boulestin

Leur analyse précise et celle des anomalies de représentation des différentes parties du squelette permettent de démontrer des pratiques de cannibalisme, en prouvant que le traitement des corps humains présente des analogies avec les pratiques bouchères observées sur les restes d’animaux contemporains et indique une exploitation fonctionnelle correspondant à l’extraction de nourriture.

Pour expliquer ces dépôts – qui témoignent de pratiques extrêmement codifiées et ritualisées –, la consommation d’un tel nombre de personnes, la qualité et la diversité de provenance des céramiques qui les accompagnent, deux hypothèses sont actuellement privilégiées : il pourrait s’agir de raids suivis de cérémonies dans lesquelles le cannibalisme – probablement de nature sacrificielle – aurait pris une part importante ou, à l’inverse, de gens, venant parfois de très loin, se rendant volontairement à Herxheim pour participer à de telles cérémonies.

Quoi qu’il en soit, le site apparaît comme un centre politique et/ou cultuel au rayonnement « international » sans équivalent dans le reste du Néolithique ancien européen ; de plus, les derniers travaux sur Herxheim apportent un nouvel argument de poids selon lequel une crise profonde, se traduisant par tout un éventail de comportements violents, parfois extrêmement ritualisés, a secoué l’Europe centrale à la fin du Rubané.

Références :

BOULESTIN B., JEUNESSE C.et ZEEB-LANZ A. (2009), Cannibalisme de masse au Néolithique. La Recherche, n°433, septembre 2009, 54-57.

BOULESTIN B, ZEEB-LANZ A JEUNESSE C., HAACK F., ARBOGAST R.-M. et DENAIRE A. 2009 : Mass cannibalism in the Linear Pottery Culture at Herxheim (Palatinate, Germany), Antiquity, 83, 322 968–982