FORMBY (G-B.) : L'archéologie de l'éphémère

 

L'archéologie éphémère de Formby

Des traces de nombreux hommes et animaux préhistoriques préservées dans les couches d'argile d'une plage anglaise continuent à être découvertes.

François Savatier

Source : http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actualite-l-archeologie-ephemere-de-formby-26259.php

 

Découvertes fin 2010, ces traces de pas sont celle d'un homme, qui il y a quelque 7000 ans, a parcouru la zone intertidale de Formby, sans doute à la recherche de coquillages ou d'autres ressources alimentaires marines. (Champion News ).

À la Pointe de Formby, le livre du temps se lit dans l'argile. En ce lieu situé sur la côte de Sefton, dans le Lancashire, en Angleterre, la mer, marée après marée, effeuille des pages de vie datant de 3000 à 8000 ans. Récemment, des traces de pas vieilles de 5000 ans ont été découvertes et prélevées juste à temps, avant que la marée ne les efface.

Ces pas imprimés dans l'argile, puis protégés par une mince couche de sable, sont ceux d'un homme marchant seul dans l'estran – la zone située entre les plus hautes et les plus basses marées –, sans doute à la recherche de quelque ressource marine. Ce ne sont ni les premières du genre ni les plus anciennes, puisque de mystérieuses traces de pas ont été observées à Formby depuis les années 1950. Leur étude n'a toutefois commencé qu'en 1989, après que le professeur à la retraite Gordon Roberts, a compris leur ancienneté un jour qu'il promenait son chien sur la plage. Passionné par sa découverte, il a alors mis au point sa propre méthode pour les mouler et les photographier.

Aujourd'hui, la communauté archéologique anglaise surveille ce que découvrent années après années les amoureux de ce magnifique trait de côte, notamment en s'associant à l'initiative Sefton coast partnership (partenariat pour la côte de Sefton). Le spécialiste des empreintes préhistoriques Matthew Bennet, de l'Université de Bournemouth, suit les découvertes ; durant l'été 2006, il est notamment venu prélever d'autres empreintes de pas vieilles de 5 000 ans à l'aide d'un système laser d'acquisition numérique du volume. Les indices stratigraphiques, la datation au carbone 14 ainsi que la datation par luminescence stimulée optiquement (OSL) réalisées par les archéologues suggèrent que l'ensemble des traces couvrent une période allant de la fin du Mésolithique anglais (6 000 ans à 4 000 avant notre ère) au Néolithique anglais (entre 4 000 et 2 000 avant notre ère).

Matthew Bennett, Université de Bournemouth. L'une des empreintes de pied prélevées numériquement. Elle date d'environ 5 000 ans.

Depuis 1989, plus de 200 pistes humaines ont ainsi pu être enregistrées avant que la mer ne les détruise ; à cela s'ajoutent des centaines de traces d'aurochs, de cervidés, de chevaux sauvages, de loups, d'ovidés et de caprinés sauvages… En tout, un fond d'environ 3000 photographies accompagnées de nombreux moulages, auxquels s'ajoutent désormais des « moulages numériques ». Ces données livrent petit à petit des informations que les sites terrestres ne donnent pas : ainsi, une étude statistique de 75 pistes menée en 1995 a révélé que les hommes qui foulèrent la plage de la Pointe de Formby mesuraient en moyenne 1,66 mètre, tandis que les femmes ne mesuraient que 1,45 mètre. Les traces indiquent la présence fréquente de femmes et d'enfants, sans doute venus sur la plage ramasser des coquillages, des crevettes, etc. Les pistes masculines sont pour la plupart associées à celle de cerfs et de daims, et sont caractérisées par une vitesse plus élevée que la moyenne, ce qui suggère qu'elles ont été laissées par des chasseurs. De temps en temps sont retrouvées des traces de pied déformés, ce qui est sans doute significatif d'une époque où l'on marchait beaucoup pied nu…

La plupart de ces traces se trouvent dans la zone intertidale, battue par les marées. La mer y défait aujourd'hui ce qu'elle a patiemment constitué au cours du temps, en recouvrant de sable à chaque marée les traces scellées dans l'argile il y a des milliers d'années. C'est ainsi l'histoire de l'exploitation quotidienne d'un estran qui se révèle petit à petit à nos yeux. Une histoire bien plus significative de la vie des hommes anciens que celles que les archéologues extraient péniblement des sites terrestres. D'où l'enjeu associé aux sites intertidaux tel celui de Formby. La communauté scientifique anglaise a du reste repéré d'autres endroits prometteurs en Angleterre dans l'estuaire de la Severn ou encore sur l'île anglaise de Walney. Et en France ?

 

G. Roberts, Sefton Coast Partnership. Cette trace a été laissée par un adolescent préhistorique d'environ 1,40 mètre marchant à quelque 5 kilomètres par heure. Détail remarquable: la trace pointue laissée par l'ongle particulièrement long de son gros orteil.