Et si le feu n'était pas à l'origine du succès de l'espèce humaine ?

Julie Aram

Source - http://www.journaldelascience.fr/homme/articles/feu-netait-pas-lorigine-succes-lespece-humaine-4350

Silex feu prehistoire 0

Quelques silex découverts par Ron Shimelmitz et son équipe, dans la grotte de Tabun (Israël). Crédits : Ron Shimelmitz

Une découverte réalisée dans la grotte préhistorique de Tabun (Israël) révèle que l'usage quotidien du feu, au moins dans cette région du monde, est devenu régulier à partir de -350 000 seulement. Une date donc très récente, qui incite a faire l'hypothèse que la maîtrise du feu n'a peut-être pas contribué de façon décisive au succès de l'espèce humaine.

Autant le dire tout de suite, la question posée dans le titre est volontairement provocante. En effet, les éléments dont disposent aujourd'hui les paléoanthropologues sont bien trop parcellaires pour qu'il soit possible d'en déduire quoi que ce soit de définitif sur la question de la maîtrise du feu par nos ancêtres.

Mais il n'empêche : c'est une découverte véritablement troublante qui vient d'être effectuée dans la grotte de Tabun (Israël), par une équipe internationale de paléoanthropologues dirigée par le préhistorien israélien Ron Shimelmitz (Université d'Haïfa, Israël).

Qu'ont découvert ces chercheurs ? En fouillant les différentes couches de dépôts et artefacts (silex et débris de silex principalement) laissés dans cette grotte par ses habitants humains au cours de ces derniers 500 000 ans, Ron Shimelmitz et ses collègues se sont aperçus que les habitants de cette grotte avaient commencé à recourir à l'usage du feu de façon régulière à partir de -350 000 ans seulement.

En effet, en analysant les différentes couches sédimentaires de la grotte, correspondant donc à différentes époques, ils se sont aperçus que seules les couches vieilles d'au plus 350 000 ans contenaient des silex et des morceaux de silex dont la coloration rouge ou noire montrait qu'ils avaient été exposés au feu. Selon les auteurs de l'étude, cette utilisation était probablement quotidienne. Ce qui n'était en revanche pas le cas des couches sédimentaires âgées de -500 000 à -350 000 ans.

En quoi est-ce si étonnant ? Il s'agit d'un résultat surprenant car il suggère que, au moins dans cette région du monde, l'utilisation régulière du feu a émergé tardivement. En effet, à une date antérieure à -350 000 ans, rien n'interdit certes de penser que les humains qui habitaient dans cette grotte ont recouru au feu, mais il apparaît clairement que ce recours a été très occasionnel.

Tous ces éléments incitent donc à émettre l'hypothèse que, contrairement à ce que plusieurs théories avaient pu avancer jusqu'ici, la maîtrise du feu n'aurait peut-être pas contribué de façon décisive au succès de l'espèce humaine. Comme le rapporte ainsi la revue Science dans un article consacré à cette publication (lire l'article de Science :"Israeli cave offers clues about when humans mastered fire"), la date de -350 000 ans est une date "trop récente pour expliquer l'augmentation de la taille du cerveau chez les humains, ainsi que leur expansion dans les régions au climat froid".

A cette hypothèse, on pourra légitimement objecter que des artefacts humains témoignant de l'usage du feu plus anciens, dont certains remontent probablement à un million d'années, ont été découverts en d'autres zones du monde. Mais la découverte de ces artefacts ne signifie pourtant pas que le feu était utilisé de façon régulière à cette période.

Concernant ce dernier point, il convient de signaler que, contrairement à la plupart des autres sites préhistoriques, la grotte Tabun est un site unique. En effet, alors que la plupart des sites anciens n'offrent en quelque sorte qu'un "instantané" d'un moment situé dans le passé, les différentes couches archéologiques présentes dans la grotte Tabun permettent de retracer l'histoire des habitants de cette grotte en continu sur une immense période (depuis ces 500 000 dernières années, en gros). Un peu comme s'il s'agissait d'une vidéo time-lapse, pour reprendre la comparaison utilisée par le journal Science dans l'article sus-cité.

Par conséquent, le fait d'avoir retrouvé, en d'autres régions du monde, des artefacts témoignant d'un usage du feu à un moment donné dans l'histoire de l'humanité, et ce même si la datation de ces artefacts est beaucoup plus ancienne que la date de -350 000 ans, ne signifie toutefois pas que cet usage était régulier, les sites préhistoriques en question n'offrant encore une fois qu'un "instantané" du passé. Ce qui est précieux dans le résultat obtenu par les auteurs de cette nouvelle étude réside dans le fait qu'un usage régulier du feu a émergé il y a 350 000 ans dans un site dont on connaît l'histoire jusqu'à -500 000 ans.

Il convient cependant d'ajouter un bémol : en effet, rien n'interdit de penser que, sur la période -500 000 à -350 000 ans, la grotte de Tabun n'a été utilisé qu'occasionnellement par ses habitants, par exemple pour y entreposer des objets ou pour y confectionner des outils. Et que d'autres sites était parallèlement utilisés pour y faire du feu.

Sur ce dernier point, gageons que les études menées par les paléoanthropologues dans cette région du monde nous apporterons de nouveaux éléments de réponse au cours des années à venir...

Ces travaux ont été publiés dans l'édition de décembre 2014 de la revue Journal of Human Evolution, sous le titre "‘Fire at will’: The emergence of habitual fire use 350,000 years ago" .