Elarmékora (Gabon): Des outils d’au moins 650 000 ans

François Savatier

Source - https://www.pourlascience.fr/sd/prehistoire/des-outils-d-au-moins-650-000-ans-au-gabon-23054.php

Des pierres taillées dans le quartzite attestent de la présence d’humains à la marge de la forêt tropicale humide africaine au milieu du Paléolithique inférieur.

Image 15L'un des galets aménagés trouvés à Elarmékora et la terrasse fluviale déposée par le fleuve Ogooué il y a 650 000 ans. Richard Oslisly

Quel âge ont-elles ? Les pierres taillées découvertes dans une ancienne terrasse fluviale du fleuve Ogooué au Gabon ne sont pas datables directement. Régis Braucher, du CEREGE à Aix-en-Provence, et Prosper-Prost Ntoutoume Mba, de la cellule scientifique de l’Agence nationale des parcs nationaux du Gabon, et leurs collègues viennent d’estimer leur durée d’enfouissement à au moins 650 000 ans, ce qui fait remonter la première industrie lithique du bassin du Congo au Paléolithique inférieur africain.

Des industries lithiques oldowayennes (2,8 à 1,5 million d’années) ou acheuléennes (1,8 million d’années à 130 000 ans) sont attestées le long d’un immense arc joignant le Maroc à l’Afrique australe en passant par l’Afrique de l’Est. En revanche, en Afrique centrale, dans une immense région communément appelée le « bassin du Congo » s’étendant de la côte atlantique aux Grands Lacs et du sud du Tchad au nord de l’Angola, les seuls outils lithiques connus n’étaient pas datés et ont été publiés en français il y a longtemps, si bien qu’ils ne sont pas pris en compte par les préhistoriens actuels. La méconnaissance de la préhistoire de la région est par ailleurs d’autant plus grande que, sans doute à cause des conditions tropicales humides peu propices à la conservation, aucun fossile humain n’y a été découvert.

D’où l’intérêt de la découverte par Richard Oslisly, de l’Institut de recherche pour le développement, de 17 pierres taillées par des mains humaines à Elarmékora, au Gabon. Il s’agit de galets de quartzite façonnés sur plusieurs faces ou de nucléus (des blocs servant au débitage d’éclats) retouchés pour les aménager en outils à bord tranchant. Plutôt massifs, ces outils sont aptes à briser des os ou du bois. La spécialiste des outils en pierre Isis Mesfin, du Muséum national d’histoire naturelle, a constaté que ces outils se distinguent clairement des artefacts acheuléens le plus souvent décrits en Afrique à la même période.

Image 16Deux des galets aménagés du site d'Elarmékora    Richard Oslisly

Mais quelle période au juste ? Aucune méthode de datation directe n’étant praticable, les chercheurs se sont rabattus sur l’estimation de leur durée d’enfouissement grâce à la mesure des concentrations de nucléides cosmogéniques. Le nombre de ces atomes radioactifs engendrés par les rayons cosmiques dans les minéraux du sol décroît avec le temps passé sous terre. Les chercheurs ont mesuré les concentrations de l’aluminium 26 et du béryllium 10 dans une série d’échantillons prélevés sur le site depuis la surface du sol jusque sous la strate archéologique contenant les outils. Ils ont pu en déduire l’âge des échantillons, et donc la durée minimum de l’enfouissement des artefacts : environ 650 000 ans.

Image 17La carte de la végétation actuelle en Afrique centrale avec l'emplacement du site d'Elarmékora au Gabon.  Richard Oslisly

Ces outils pourraient-ils être plus vieux ? Ils sont tous usés comme par le roulement de l’eau et ne sont accompagnés d’aucun éclat de petite taille, ce qui suggère que le fleuve Ogooué les a charriés et rassemblés au fond d’un trou. Les galets taillés ont ainsi pu être arrachés à une berge à la faveur d’une crue, et donc être bien plus anciens que leur durée d’enfouissement ne le suggère.

Il est toutefois plus prudent s’en tenir à la conclusion qu’une industrie lithique existait dans le bassin du Congo il y a plus de 650 000 ans. L’originalité de l’industrie d’Elarmékora illustre la diversité des industries à galets aménagés connues en Afrique centrale, par exemple celle de Dungo IV, en Angola, ou celle de Kontcha, au Cameroun. Elle prouve aussi qu’il est difficile d’appliquer en Afrique centrale les typologies pertinentes en Afrique du Nord, de l’Est et du Sud : pendant longtemps, ces industries de galets taillés ont été qualifiées d’archaïques, mais elles sont avant tout originales. Sans doute parce que les conditions dans la région – notamment l’omniprésence du bois – avaient une influence sur les modes de vie et l’outillage. Quoi qu’il en soit, la découverte d’un site du Paléolithique inférieur dans le bassin du Congo suggère que la forêt tropicale humide africaine était déjà investie par des humains utilisant des techniques originales à une époque où l’Acheuléen était dominant dans le reste de l’Afrique.

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