El Cano (Panama):Découverte archéologique majeure d’une culture amérindienne méconnue

A. R. Williams

Source - http://www.nationalgeographic.fr/4615-el-canon-la-derniere-grande-decouverte-archeologique-dune-culture-amerindienne-meconnue/

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© David Coventry

Les fouilles dans un cimetière vieux de plus de mille ans ont mis au jour les tombes de puissants guerriers parés d’or. Cette découverte, l’une des plus fructueuses réalisées en Amérique depuis plusieurs décennies, offre un aperçu d’une culture méconnue.

Dans un champ d’herbes hautes brûlées par le soleil, au centre du Panama, l’or semblait jaillir du sol ; l’archéologue Julia Mayo avait attendu ce moment si longtemps… Mais, ce jour-là, elle était complètement bouleversée.

Déterminée à exhumer de nouveaux vestiges de la culture ancienne qu’elle étudiait depuis son doctorat, Julia Mayo avait réalisé, en 2005, avec son équipe, ses premiers relevés géophysiques sur un site appelé El Cano. Ces derniers lui avaient permis d’identifier un cercle de sépultures tombées depuis longtemps dans l’oubli.

En 2010, l’équipe y a creusé une fosse de près de 5 m et découvert la dépouille d’un chef de guerre couvert d’or – deux plastrons bosselés, quatre brassards, un bracelet de clochettes, une ceinture de perles creuses en or aussi grosses que des olives, plus de 2 000 minuscules sphères disposées comme si elles étaient jadis cousues sur une écharpe cérémonielle et des centaines de perles tubulaires dessinant un motif en zigzag sur l’un des mollets du dignitaire.

À elles seule, cette trouvaille aurait pu être celle de toute une vie, mais ce n’était qu’un début. Julia Mayo venait de tomber sur un vrai filon. L’équipe est revenue l’an dernier pendant la saison sèche et a mis au jour une deuxième sépulture, aussi riche que la première.

Arborant deux disques en or sur la poitrine, deux sur le dos, quatre brassards et une émeraude translucide, le défunt était assurément un autre chef important. Près de lui gisait un bébé, paré d’or de la même façon – probablement son fils.

Les deux corps reposaient sur une couche de squelettes humains entremêlés, sans doute des esclaves ou des captifs de guerre sacrifiés. Des tests au carbone 14 ont permis de dater les sépultures d’environ 900 apr. J.-C. – époque où la civilisation maya, à quelque 1 290 km au nord-ouest, commençait à péricliter.

Julia avait à peine eu le temps de classer ses nouvelles découvertes que son équipe mettait au jour d’autres objets en or. Miroitant depuis la paroi de la fosse, ces derniers marquaient les extrémités de quatre autres tombes.

Examinant le site, elle n’en croyait pas ses yeux. « J’étais à la fois fascinée et inquiète, se souvient-elle. Les pluies avaient déjà commencé et une course contre la montre était engagée pour récupérer l’ensemble du trésor avant que la rivière voisine n’inonde le site. »

Par ailleurs, elle savait que des pillards ne manqueraient pas d’affluer si la nouvelle des découvertes parvenait à leurs oreilles.

Ce n’était pas la première mine d’or archéologique découverte au panama. À moins de 3 km de l’endroit où Julia travaille, les fouilles de Sitio Conte – du nom des propriétaires du site – ont révélé l’une des plus spectaculaires collections d’objets ouvragés du continent américain.

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Une rivière serpente à travers des champs de canne à sucre, non loin d’El Cano. Peut-être considérées comme sacrées dans un lointain passé, les rives du cours d’eau pourraient abriter bien d’autres sépultures restant à découvrir. © David Coventry

Ce filon a été mis au jour au début des années 1900, quand une rivière enflée par les pluies coupa à travers un pré où broutait du bétail. Plastrons en or, pendentifs et autres objets précieux jaillissaient pêle-mêle des tombes, avant de dévaler en cascade au bord de la rivière.

Attirées par la nouvelle de la découverte de cet ancien cimetière, des équipes de Harvard, puis de l’université de Pennsylvanie, firent l’une après l’autre le voyage de New York à Panama, gagnant Sitio Conte à cheval, en char à bœufs et en pirogue.

En quatre saisons de fouille, les équipes ont ouvert plus de quatre-vingt-dix tombes, dont un grand nombre renfermaient plusieurs corps parés d’or, ainsi que des objets réalisés par des artisans prodigieusement doués : céramiques aux motifs complexes, os de baleine,  sculptés et rehaussés d’or, colliers de dents de requin, ornements en agate et serpentine polies.

En 1937, Samuel Lothrop, un archéologue de Harvard, avait identifié le peuple de Sitio Conte comme l’une des populations indigènes rencontrées par les Espagnols, lorsque ces derniers avaient envahi le Panama, au début du XVIe siècle.

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Cette vue d’artiste représentant un chef s’est inspirée d’ornements retrouvés dans une tombe et d’écrits laissés par des conquérants espagnols. © John Jude Palencar

Au fur et à mesure de leur progression à travers le pays, les conquistadors tenaient des chroniques détaillées de leur expédition. À Sitio Conte, ils croisèrent de petites communautés belliqueuses qui rivalisent entre elles. Et dont les chefs se paraient d’or durant les combats pour afficher leur rang.

La culture de Sitio Conte est en fait beaucoup plus ancienne que ne le croyait Lothrop. Les spécialistes pensent aujourd’hui que les tombes de ces chefs guerriers datent d’une période approximativement comprise entre le VIIIe et le Xe siècle.

Si les objets ouvragés semblaient correspondre aux descriptions laissées par les conquistadors, ceci était dû au fait que certains aspects de la culture étaient restés inchangés jusqu’au début du XVIe siècle.

En avril 1940, estimant avoir trouvé assez d’objets précieux pour leurs musées, les archéologues du site de Sitio Conte étaient rentrés aux Etats-Unis. D’autres avaient continué à fouiller le sous-sol des verts pâturages du Panam, mais sans y réaliser de découvertes notables.

Dans l’ensemble, cette partie de l’Amérique centrale est dépourvue des attraits qui ont attiré des générations de scientifiques vers le pays maya, plus au nord – ni architecture notable, ni dynastiques historiques, ni traces de réalisations intellectuelles comme un calendrier.

Un alignement de monolithes se dresse à quelques centaines de mètres de la rivière qui coule le long du cimetière de Sitio Conte, en travers du champ d’El Cano. En 1925, les pierres attirèrent là un aventurier américain, Hyatt Verrill.

Ce dernier réalisa plusieurs excavations rudimentaires aux abords immédiats du site, exhumant trois squelettes d’hommes du peuple. D’autres fouilles menées, dans les années 1970 et 1980, révélèrent plusieurs tombes de petite taille, mais pas de trésor.

Malgré ces résultats peu prometteurs, Julia Mayo restait optimiste. Chercheuse associée au Smithsonian Tropical Research Institue à Panama, elle avait étudié le rapport de Lothtrop sur Sitio Conte.

Elle savait qu’il avait trouvé à la fois des monolithes et des tombes et pensait qu’il pouvait y avoir un lien entre les deux types de trouvailles. Si elle voyait juste, d’autres sépultures de chefs guerriers de la même culture ne demandaient qu’à être découvertes dans le sous-sol d’El Cano. Il suffisait juste savoir où chercher.

Son premier relevé lui permit de détecter les traces d’un cercle légèrement surélevé d’environ 80 m de diamètre. Espérant qu’il s’agissait de l’enceinte d’un cimetière, elle commença à creuser en plein milieu… et décrocha le gros lot !

Les objets ouvragés qu’elle mit alors au jour confirmèrent que les descriptions de la région faites par les Espagnols étaient généralement fiables et que Sitio Conte n’était pas une exception dans un désert archéologique.

Chargés d’analyser les divers matériaux exhumés par l’équipe de Julia Mayo, les spécialistes de la Smithsonian Institution ont déjà fait une découverte majeure. Les impuretés naturelles trouvées dans l’or indiquent que le métal a été extrait et façonné dans la région.

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Des pendentifs en forme d’animaux paraient le défunt. Provenant du site voisin de Sitio Conte, le pendentif d’un chef, en or et orné d’une émeraude, représente une créature imaginaire. © David Coventry

Ce constat met définitivement fin au débat sur l’éventuelle importation des trésors du Panama depuis des régions situées plus au sud, où les civilisations auraient été plus anciennes et plus avancées.

Les peuples de la région de Sitio Conte vivaient peut-être dans de simples huttes, mais ils étaient assez riches pour subvenir aux besoins de maîtres artisans et assez raffinés pour apprécier l’art dans ses plus hautes expressions.

Pendant la saison de fouilles, tout en déjeunant sous la véranda ombragée du petit musée d’El Cano, Julia Mayo et son équipe contemplent les centaines d’hectares de canne à sucre qui s’étendent devant eux.

Julia pense que toutes ces terres présentent un terrain prodigieusement fertile pour l’archéologie. À quelques kilomètres en amont, elle a relevé des traces d’un autre cimetière. Si celui-ci se révèle aussi riche qu’El Cano et Sitio Conte, cette région pourrait être la Vallée des Rois du Panama. Mais en Égypte, la plupart des tombes ont été pillées. Ici, elles devraient réserver encore bien surprises.

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