Y a-t-il eu un troisième homme en Europe?
Nicolas Constans
Source : http://www.larecherche.fr/content/actualite-archeologie/article?id=27920
Une séquence génétique inconnue dans un fossile sibérien suggère que les néandertaliens et les hommes modernes n’étaient pas les seuls habitants du continent eurasiatique au Paléolithique.
Il y a environ 40 000 ans, l ’ homme moderne est arrivé en Europe, occupée jusque-là par le seul homme de Neandertal. Pendant une dizaine de milliers d’années, les deux espèces auraient coexisté, jusqu’à ce que Neandertal disparaisse. Mais une séquence génétique n’appartenant ni à l’une ni à l’autre des deux espèces et datée d’environ 40 000 ans suggère qu’il y aurait peut-être eu une troisième espèce d’hominidé en Eurasie à la même époque [1].
Tout commence en 2008 quand des archéologues russes découvrent dans la grotte de Denisova au sud de la Sibérie la phalange d’un petit doigt fossile d’apparence humaine. Une équipe de l’institut Max Planck de Leipzig en séquence alors entièrement l’ADN mitochondrial. Il s’agit de l’ADN présent dans les mitochondries, des petites structures de la cellule qui produisent de l’énergie.
Ils le comparent ensuite à ceux d’un échantillon représentatif d’une cinquantaine d’hommes actuels. En moyenne, l’ADN de Denisova possède 380 différences avec eux. À titre de comparaison, le chimpanzé compte 1 460 différences avec les hommes actuels, mais l’homme de Néandertal beaucoup moins : seulement 200. Le fossile de Denisova semble donc plus différent de nous que ne le sont les néandertaliens.
Lignée inconnue. Est-ce une nouvelle espèce ? « C’est une lignée totalement inconnue jusqu’ici, explique Eva-Maria Geigl, paléogénéticienne à l’institut Jacques-Monod à Paris. Mais ce n’est pas forcément une nouvelle espèce. »
En effet, il s’agit peut-être simplement d’un néandertalien ou d’un homme moderne. Car, contrairement à l’ADN nucléaire, contenu dans le noyau des cellules, l’ADN mitochondrial ne résulte pas du mélange des patrimoines génétiques du père et de la mère. Il est transmis directement par la mère. En d’autres termes, celui de Denisova a pu être hérité d’une ancêtre très lointaine, antérieure à l’apparition des hommes modernes et des néandertaliens. À l’époque où cette dernière vivait, la diversité au sein de son espèce était peut-être très grande. D’où l’existence d’ADN mitochondriaux très différents les uns des autres.
Autre hypothèse, la diversité des néandertaliens peut avoir été sous-estimée. Car seuls six de leurs ADN mitochondriaux sont connus en totalité [2]. En outre, ils appartiennent à des fossiles situés dans une région donnée, l’Europe, à une époque donnée, vers 40 000 ans. Dans d’autres régions comme la Sibérie, la diversité était peut-être plus grande. À d’autres époques aussi. Et justement, il n’est pas du tout certain que la phalange de Denisova date de 40 000 ans. « Elle a pu être déplacée par les courants d’eau qui ont sans doute emporté ailleurs le reste du squelette, explique Marcel Otte, de l’université de Liège, qui a fouillé la grotte. Et la chronologie de la grotte n’est pas très fiable, car son sol s’est affaissé. » La morphologie plutôt robuste de la phalange suggère en tout cas qu’elle est antérieure aux hommes modernes.
ADN nucléaire. Pour déterminer s’il s’agit d’une espèce différente, les scientifiques de Leipzig vont analyser l’ADN nucléaire de la phalange de Denisova. S’il y a à nouveau de nombreuses différences avec ceux des hommes actuels et des néandertaliens, alors il devrait s’agir d’une espèce différente. Pour savoir si elle se rattache à une espèce connue, il faudra néanmoins découvrir des pièces anatomiques plus substantielles qu’une phalange.
[1] J. Krause et al., Nature, doi:10.1038/ nature08976, 2010.
[2] N. Constans, « La population néandertalienne était très homogène », La Recherche, octobre 2009, p. 24.