Comment Homo sapiens a-t-il échappé à la consanguinité ?

Laure Dubesset-Chatelain

Source - https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/anthropologie/comment-homo-sapiens-a-t-il-evite-la-consanguinite_150212#xtor=CS2-37-[Comment%20Homo%20sapiens%20a-t-il%20%C3%A9chapp%C3%A9%20%C3%A0%20la%20consanguinit%C3%A9%20%3F]

Plusieurs études convergent pour affirmer que les femmes quittaient leur clan d'origine pour procréer, ce qui a permis d'éviter la consanguinité.

Cover r4x3w1000 5fdb97538504a 23616 1405838 k4 k1 3248267 jpgReconstitution d'une famille de la fin du paléolithique. Les hommes vivaient plus souvent que les femmes là où ils avaient grandi. S. ENTRESSANGLE, SCULPTURE E. DAYNES/LOOKATSCIENCES

Cet article est extrait du n°204 des Indispensables de Sciences et Avenir, daté janvier/mars 2021.

Impossible de savoir à quoi aurait pu ressembler la photo de famille de Sapiens. "Heureusement, les gènes ont une mémoire", sourit Raphaëlle Chaix, anthropogénéticienne au Muséum national d'histoire naturelle. L'analyse de sépultures anciennes éclaire ainsi les systèmes de parenté de nos ancêtres.

"Il semblerait que la patrilocalité - les femmes venant vivre dans le clan de l'homme - domine"

En 2005, près d'Eulau (Allemagne), une tombe vieille de 4.600 ans s'est avérée abriter un couple et ses deux enfants, offrant la première preuve de l'existence d'une structure familiale nucléaire. Les trois autres tombeaux ont également révélé que les individus étaient liés entre eux par leur chromosome Y, transmis par le père. Et il en va de même sur de nombreux sites funéraires. "Il semblerait donc que la patrilocalité - les femmes venant vivre dans le clan de l'homme - domine", conclut Raphaëlle Chaix. "Le patrimoine génétique des femmes est beaucoup plus diffusé géographiquement", confirme Anne Augereau, archéologue à l'Inrap (Paris). Une tendance confortée par les études sur les rapports isotopiques du strontium, molécule chimique qui renseigne sur l'environnement géologique dans lequel a grandi chaque sujet, via l'eau, les plantes et les animaux qu'il y a consommés. "Il y a plus souvent concordance entre les signatures chimiques locale et individuelle des hommes que des femmes, observe la chercheuse. Ils sont donc plus nombreux qu'elles à être enterrés là où ils ont passé leur enfance."

"Nous n'avons pour l'instant qu'un petit bout du puzzle"

Les gènes nous apprennent aussi que les chasseurs-cueilleurs d'il y a 34.000 ans ne composaient pas de petites bandes marquées par la consanguinité. "Au contraire, les individus semblent peu apparentés génétiquement", remarque Raphaëlle Chaix. "Il semblerait que patrilocalité et patrilinéarité - le fait que la filiation paternelle prime - s'appliquent au mésolithique [-9 600 à -6 000 ans en Europe, ndlr], avance Anne Augereau. Mais nous ne disposons que d'un échantillon de population restreint, sur une aire géographique limitée". Sans compter que les liens symboliques, comme l'adoption, ne laissent pas de trace. "Nous n'avons pour l'instant qu'un petit bout du puzzle, estime Raphaëlle Chaix, mais l'ADN ancien nous permettra bientôt d'en dire beaucoup plus !"