Ce que l'ADN des hommes de Neandertal nous apprend sur la généalogie de l'espèce humaine

Source - http://www.atlantico.fr/decryptage/que-adn-hommes-neandertal-apprend-genealogie-espece-humaine-marie-antoinette-lumley-eveline-heyer-1679199.html

Grand, costaud, un peu plat du front... l'homme de Neandertal fascine. L'homme moderne l'a rencontré en sortant d'Afrique, s'est certainement mélangé avec lui, puis pour des raisons encore obscures il a disparu. Beaucoup reste encore à découvrir sur nos liens avec ce cousin si proche et éloigné à la fois.

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Ce que l'ADN des hommes de Neandertal nous apprend sur la généalogie de l'espèce humaine Crédit Reuters

Atlantico : L’homme de Neandertal est toujours entouré d’un certain mystère et suscite souvent la fascination. Que sait-on aujourd’hui de ses liens avec nous autres homo sapiens ?

Marie-Antoinette de Lumley : On a pendant longtemps pensé que l’homme de Neandertal était totalement indépendant de l’homo sapiens, et qu’il n’avait aucun trait pouvant nous ressembler.

Même les premières analyses ADN sur des fossiles avaient permis de dire que rien ne les reliait. Mais aujourd’hui on est revenu de cette idée, il semblerait que nous partagions un petit pourcentage de l’ADN de l’homme de Neandertal (1 à 3 %, ndlr). Lorsque l’on procède à une analyse sur un fossile, plus celui-ci est ancien, plus la chaîne d’ADN est fragmentée. Il est encore difficile de parvenir à un résultat parfait au-delà de 30 000 ans. L’avenir nous permettra sûrement d’obtenir des résultats plus complets.

Eveline Heyer : Le néandertalien est le plus proche cousin que nous ayons. Les estimations que nous avons de sa séparation avec l’homme moderne est fluctuante, entre 300 000 et 600 000 années. Cela donne un ordre de grandeur.

L’Homo Sapiens a-t-il pu hériter de certaines caractéristiques propres à l’homme de Neandertal ?

Marie-Antoinette de Lumley : Quand on observe les dents ou les mandibules, on s’aperçoit qu’ils sont bien différents. Avec l’ADN on pensait pouvoir résoudre l’énigme génétique que les sources dont nous disposions avant ne pouvaient pas éclaircir. Il semblerait pour le moment que certaines populations actuelles n’aient aucun lien avec l’homme de Neandertal, et que d’autres partagent un petit pourcentage de patrimoine génétique. Des rencontres et unions ont donc certainement eu lieu entre les deux espèces.

Eveline Heyer : L’hypothèse d’un patrimoine génétique commun semble se vérifier, même si le détail du génome de l’homme de Neandertal n’est pas encore connu. On tâtonne encore pour déterminer les gènes dont nous avons hérité. Il est possible en revanche, selon une étude récente, que des populations tibétaines aient hérité de l’homme de Denisova (proche cousin de l’homme de Neandertal, disparu il y a au moins 40 000 ans, ndlr).

Le mélange entre l’homo sapiens et le Neandertal s’est fait lorsque le premier est sorti d’Afrique, avant qu’il ne colonise le reste de la planète. Le bout de génome hérité du néandertalien a été emmené dans le monde entier, tandis que certaines populations d’Afrique ne l’ont pas eu. Précisions que les études qui ont été menées n’ont pas toujours été recoupées avec d’autres, ce qui signifie qu’il faut encore être prudent dans l’appréciation des résultats.

Quel était le niveau d’intelligence du néandertalien par rapport au nôtre ?

Marie-Antoinette de Lumley : D’un point de vue morphologique il avait une bonne capacité crânienne, à peu près identique à la nôtre, voire supérieure. Cependant la répartition à l’intérieure était très différente : la partie frontale était encore très réduite, et ne s'est développée que sur le tard avec l’homme moderne. Or la zone frontale joue beaucoup dans la mémorisation des informations.

D’un point de vue comportemental, c’était un excellent chasseur qui sélectionnait les animaux selon la saison et le climat, qui avait développé une panoplie d’outils très variée, et savait utiliser le feu. De plus, il enterrait ses morts. Il est le premier à l’avoir fait, car on ne retrouve que très peu de ses ancêtres. On a également retrouvé des traces de cannibalisme, certes, mais cela n’enlève rien au fait qu’il a connu l’angoisse métaphysique. Des objets étaient même enterrés avec lui, pour un voyage éventuel.

Quelle est la théorie la plus vraisemblable sur sa disparition ?

Marie-Antoinette de Lumley : On a parlé de la violence, mais je pense surtout que la reproduction était très limitée. La mortalité était très grande chez les nouveau-nés, chez les 8-9 ans également même si on ne se l’explique pas encore, et autour de 20 ans. Il est fort possible qu’au bon d’un certain temps la population se soit naturellement éteinte. On a parlé de grandes épidémies, mais là aussi ce n’est qu’une hypothèse.

Eveline Heyer : On peut déjà affirmer ce qui est faux. Non, l’homme moderne n’a pas massacré l’homme de Neandertal, et non, il n’a pas été ravagé par des épidémies. On pense plutôt que les Néandertaliens se reproduisaient moins bien que les hommes modernes. D’ailleurs en analysant son génome on a constaté que les populations de Neandertal étaient déjà en décroissance démographique avant l’arrivée de l’homme moderne. Au lieu d’un massacre, c’est plutôt une compétition écologique qui a dû se faire entre les deux.


Evelyne Heyer est une biologiste française spécialisée en anthropologie génétique. Elle est professeur au Muséum National d’histoire Naturelle

Marie-Antoinette de Lumley est paléoanthropologue, membre de l’Institut de Paléontologie Humaine.