Cavallo (Italie) : L'Homme moderne arrivé en Europe plus tôt que prévu

 

L'Homme moderne arrivé en Europe plus tôt que prévu

Source -  http://www2.cnrs.fr/presse/communique/2336.htm

 

Les premiers Hommes modernes (Homo sapiens) seraient arrivés en Europe il y a environ 45 000 ans, soit plusieurs millénaires avant la date communément admise jusqu'ici. Fruit d'une collaboration entre treize équipes européennes, à laquelle participent deux chercheurs français du CNRS et de l'Université Bordeaux 1 (1), ce résultat s'appuie sur de nouvelles analyses de deux dents de lait découvertes il y a une cinquantaine d'années dans une grotte préhistorique italienne, et qui avaient été attribuées à tort à des Néanderthaliens. Ces restes humains, datant d'il y a environ 45 000 ans, s'avèrent appartenir à Homo sapiens. Ils constituent les plus anciens témoignages d'Hommes modernes européens connus à ce jour. Publiés le 3 novembre dans la revue Nature, ces travaux apportent de nouveaux éléments pour mieux comprendre la diffusion des premiers Hommes modernes en Europe, ainsi que la période dite de « transition », allant de leur arrivée en Europe à la disparition des Néanderthaliens.

Selon l'hypothèse la plus largement partagée à ce jour, la disparition de l'Homme de Néanderthal, qui a vécu en Europe pendant plus de 200 000 ans, aurait un lien avec l'arrivée sur ce même continent des Hommes anatomiquement modernes (Homo Sapiens). Encore largement débattue dans la communauté scientifique, la question complexe de leur extinction vient de recevoir de nouveaux éléments de réflexion, grâce à une collaboration scientifique européenne qui s'est intéressée à deux dents de lait retrouvées par M. Palma di Cesnola (Université de Sienne), dans la Grotta del Cavallo, située près de la petite ville d'Uluzzo, au sud de l'Italie. Découverte en 1960, cette grotte contient des dépôts archéologiques témoignant de la période pendant laquelle les Néanderthaliens ont été remplacés par les Hommes modernes. Décrite à partir de plus de vingt sites archéologiques en Italie, la culture « uluzzienne » est caractérisée par la présence d'objets (ornements personnels, outils en os, colorants, etc…) typiquement associés à un comportement symbolique des Hommes modernes. Or, lors de précédents travaux, les dents de Cavallo furent attribuées aux Néanderthaliens. Ces derniers ont alors été considérés comme les artisans des ornements et des outillages caractéristiques de la culture « uluzzienne ».

De nouvelles analyses effectuées par une équipe internationale impliquant deux laboratoires français viennent contredire ces précédentes conclusions. Les reconstructions en 3D, issues d'enregistrements par microtomographie RX (2), des restes humains de Cavallo ont été comparées à un large échantillon de dents néanderthaliennes et modernes. En analysant les paramètres de leur structure interne et externe (en particulier l'épaisseur de l'émail et le contour des couronnes (3) dentaires), les chercheurs ont mis en évidence que les deux dents de Cavallo appartenaient à des Hommes modernes. D'autre part, la datation au carbone 14 par méthode AMS (4) sur des coquilles perforées, issues des mêmes niveaux archéologiques que les dents, a montré que ce matériel serait vieux d'environ 43 000 à 45 000 ans.

Ces résultats indiquent une arrivée plus précoce d'Homo sapiens en Europe. Ils confirment la longue période de coexistence des Hommes modernes avec les Néanderthaliens. De plus, cette étude suggère que, contrairement à ce qui a été affirmé par le passé, les Hommes modernes seraient les artisans de la culture uluzzienne. Cette découverte apporte de nouvelles données pour comprendre le développement des comportements symboliques des populations du Paléolithique. Issue de la réévaluation des deux dents de Cavallo, elle n'aurait pas été possible sans une collaboration entre plusieurs institutions européennes et le recours aux innovations techniques développées au cours de la dernière décennie.

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© Annamaria Ronchitelli

La Grotta del Cavallo (flèche rouge) s'ouvre sur la baie d'Uluzzo, située dans le Parc Régional Naturel de Portoselvaggio (Pouilles, sud de l'Italie).

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© Annamaria Ronchitelli et Dr. Katerina Douka

Artefacts uluzziens de la Grotta del Cavallo (Pouilles, sud de l'Italie).

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© Dr. Stefano Benazzi.

Vue mésiale du spécimen Cavallo-B (première molaire déciduale supérieure gauche), le premier Homme anatomiquement moderne d'Europe. La barre blanche dans la figure est équivalente à 1 cm.

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© Dr. Stefano Benazzi.

Reconstruction numérique en 3D de Cavallo-B (première molaire déciduale supérieure gauche). L'émail est en transparence pour montrer la dentine de la couronne.

Notes :

(1) Unité « Anthropologie bioculturelle » (CNRS / Université de la Méditerranée /EFS Alpes Méditerranée) qui s'intéresse d'un point de vue paléoanthropologique à la problématique de la « transition » entre les Néanderthaliens et les Hommes modernes et Unité « De la Préhistoire à l'actuel : culture, environnement et anthropologie » (CNRS / Université Bordeaux 1 / ministère de la Culture et de la Communication) qui a mis à disposition de cette étude ses compétences et ses équipements en matière d'imagerie 3D à haute résolution appliquée à la paléoanthropologie.
(2) Scanner CT (Computed Tomography) à haute résolution.
(3) Partie de la dent recouverte d'émail, en opposition à la racine.
(4) Méthode AMS ou en français SMA : datation par "spectrométrie de masse par accélérateur".

Références :

Early dispersal of modern humans in Europe and implications for Neanderthal behaviour, Stefano Benazzi, Katerina Douka, Cinzia Fornai, Catherine C. Bauer, Ottmar Kullmer, Jiri Svoboda, Ildiko Pap, Francesco Mallegni, Priscilla Bayle, Michael Coquerelle, Silvana Condemi, Annamaria Ronchitelli, Katerina Harvati & Gerhard W.Weber, Nature, 3 novembre 2011