Beyrouth (Liban): Les cales à bateaux, témoins-clés uniques de l’architecture portuaire phénicienne

L'indignation dans les rangs de la société civile suscitée par la destruction, mardi, à grands coups de pelleteuse du port phénicien de Beyrouth ne cesse de croître. L’Association pour la protection du patrimoine libanais (APLH) appelle ainsi à un sit-in qui se tiendra devant le ministère de la Culture à Beyrouth, à proximité de l’hôtel Le Bristol. L’objectif ? Non moins que de dénoncer ce « génocide culturel » et appeler « d’une manière civilisée à la démission immédiate du ministre de la Culture, Gaby Layoun », expliquent les organisateurs…

 

 

Martine Francis-Allouche : Les cales à bateaux, témoins-clés uniques de l’architecture portuaire phénicienne

May Makarem

Source http://www.lorientlejour.com/category/%C3%80+La+Une/article/article/751916/Martine_Francis-Allouche%3A_Les_cales__bateaux%2C_tmoins-cls_uniques_de_larchitecture_portuaire_phnicienne.html

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Dessin en plan des cales à bateaux et de la carrière.

Après avoir donné la parole à Albert Naccache, qui conteste la présence d’une installation portuaire phénicienne sur le site « Beirut 194 » (voir l’article du samedi 24 mars), « L’Orient-Le Jour » rapporte aujourd’hui les propos de Martine Francis-Allouche, qui assure qu’il s’agit bien d’infrastructures navales phéniciennes uniques en leur genre.

Les vestiges dégagés sur le site Beirut 194 (Venus Tower) sont « incontestablement » des cales sèches appartenant à une installation portuaire datant de l’époque phénicienne, déclare l’archéologue Martine Francis-Allouche. Se basant sur une « argumentation scientifique », elle analyse la nature et la fonction de ces cales taillées dans la roche, en mettant d’abord l’accent sur le nom de Mina el-Hosn « port du fort » ou Mina el-Hussein « port du fortin », « qui décrit le site dans sa géomorphologie en tant que port fortifié ou refuge naturel ». Les cales à bateaux sont nettement orientées nord-est, c’est-à-dire vers la mer, pour s’opposer aux courants dominants du sud-ouest. Leur déclivité (de 2,5° et de 3°) empêchait l’eau de mer de remonter dans les rampes, « dont le fond devait être aménagé, à la limite de l’eau, en glissières à l’aide d’éléments en bois, sur lesquels les navires étaient halés jusqu’au sec ».


La spécialiste souligne également que ces rampes parallèles qui s’étirent sur 32 et 25 mètres de long ont été tronquées par la construction de la route et que leur inclinaison irrégulière – la cale est étant moins pentue en sa partie supérieure qu’en sa partie inférieure – ne permet pas de calculer avec précision leur distance actuelle au rivage antique. Ce qui est en revanche sûr, ajoute-t-elle, c’est que les annales anciennes relèvent l’existence d’un bassin entre les rampes et la mer, et que des cartes du XIXe siècle et du début du XXe siècle montrent un tracé de la ligne côtière en amont, confirmant sa progression depuis l’Antiquité. « Il n’y a aucun doute, les rampes faisaient partie d’un aménagement portuaire plus étendu. Leur distance actuelle de la mer (120 mètres) n’a rien d’un argument », insiste-t-elle, donnant à titre d’exemple le port de l’Eleuthérion à Yenikapi (Istanbul) enfoui à 300 m à l’intérieur des terres et celui de la Rome antique, Ostia, à des kilomètres.

« Autre preuve tangible qui certifie la fonction des rampes? Leur élévation, dit-elle. Elle est de l’ordre de cinq mètres par rapport au niveau de la mer et donc tout à fait compatible avec des cales sèches en inclinaison continue et en pente régulière vers la mer. »


Martine Francis-Allouche précise, en outre, que les cales ne sont pas un sous-produit d’une carrière de pierre et qu’elles ont été construites dans un but précis : « La finition des traces de taille est parfaitement nette, symétrique et rectiligne, et l’alignement parfait au centimètre près (4,20 m pour les deux cales). Leurs parois ont été soigneusement taillées à contresens du pendage naturel du rocher. Alors qu’une carrière aurait suivi, pour des raisons évidentes de technicité, le pendage naturel de la roche. » D’ailleurs, cette carrière, dont l’occupation est plus tardive, soutient Allouche, dévie de plus ou moins 45 degrés par rapport à l’orientation des cales et recoupe la cale ouest en sa partie inférieure. 
La spécialiste indique, d’autre part, que l’existence des cinq puits circulaires (quatre ayant été détruits), taillés dans la roche de part et d’autre des parois des rampes, atteste de la fonction des cales à bateaux : « L’eau de mer – atteinte à moins 7,5 m à partir de la bouche de ces puits – servait à mouiller les membrures de la coque des navires pour atteindre la courbure désirée et empêcher le bois de craquer. »


Quant à la datation des cales, elle serait de l’époque phénicienne, estime la spécialiste, signalant que « la poterie la plus ancienne, identifiée dans les couches postérieures à l’abandon des cales, date des VIe et Ve siècles av. J.-C. (l’âge du fer II et III). Les cales et le fonctionnement de ce chantier naval sont forcément antérieurs à cette date et remontent clairement, au plus tard, à l’époque phénicienne ». Elle rappelle cependant que cette poterie est résiduelle, « elle correspond à des couches stratigraphiques accumulées, postérieures à l’usage des cales. Renfermée dans ces creux abandonnés, elle marque un terminus post quem de l’usage des cales ».


Martine Francis-Allouche fait observer qu’à l’époque phénicienne, Beyrouth disposait de deux installations portuaires : l’une à Mina el-Hosn, et l’autre au bas de la rue Foch, à l’ouest du tell ancien. Elle relève que Nick Mariner n’avait pas exclu l’existence de ports secondaires et que dans son ouvrage publié en 2009 il avait signalé qu’ « à environ 350 m à l’ouest du port antique de Beyrouth, une seconde baie marine, encore visible sur les cartes du XIXe siècle, pourrait avoir servi de port ».


Et pour conclure, elle indique que tous les rapports y compris ceux de la DGA ont été analysés par différents archéologues, notamment Anis Chaaya, Jeanine Abdel Massih et Eric Gottwalles. Que la communauté scientifique internationale, dont des spécialistes en la matière, comme Jean-Yves Empereur, David Blackman, Kaliopi Baika, Ana-Maria Busila et Marguerite Yon « ont validé les avis des spécialistes libanais et exprimé leur appui par des lettres de soutien pour la conservation in situ de ce site archéologique important ».

 

L'autre avis

L’archéologue Albert Naccache catégorique : « Aucune cale antique sur le site des Venus Towers »