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BEYROUTH (Liban) - L’extension de l’antique Beyrouth sous la loupe des spécialistes

 

L’extension de l’antique Beyrouth sous la loupe des spécialistes

 

May Makarem

Source -http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/692087/L'extension_de_l'antique_Beyrouth__sous_la_loupe_des_specialistes.html 

 

La reconstruction du centre-ville de Beyrouth offre la possibilité exceptionnelle d'explorer l'antique cité et de réveiller des siècles d'histoire. À chaque coup de pioche, Perses, Hellènes, Romains et Byzantins émergent d'un long sommeil.

Les fouilles menées dans le secteur de Marfa', au nord de l'immeuble an-Nahar sur le lot 1474, sont terminées, annonce l'archéologue Assaad Seif, responsable à la Direction générale des antiquités (DGA). « L'exploration du site, qui représente le continuum naturel du tell, noyau de l'antique cité de Beyrouth, a été d'une grande importance car elle nous a offert la possibilité d'étudier d'une manière précise l'extension préclassique de Beyrouth », a-t-il indiqué, ajoutant que les lieux ont été témoins de deux évènements marquants de l'époque hellénistique et du VIIe siècle, dont il a refusé d'en révéler la nature avant qu'ils ne soient évoqués dans le rapport scientifique de la DGA. Vu l'importance de tous ces éléments, le ministre de la Culture Salim Wardy a exigé de conserver in situ les vestiges, c'est-à-dire « exactement là où ils ont été découverts ». Dans une lettre, il a invité le groupe CGI (Audi-Saradar), propriétaire du terrain, à trouver une solution technique pour intégrer le site archéologique dans son projet architectural. 
L'exploration de cette parcelle de 1 100 m2, dirigée par les archéologues Fady Beayno et Georges al-Haïby, a dévoilé les strates superposées des périodes perse, hellénistique, romaine et byzantine. La première a notamment livré une petite tour carrée, posée au bout d'un mur qui longe le glacis du tell. « Cette tradition de munir la cité d'ouvrages de fortification remonte aux époques cananéenne et phénicienne, et continue donc de l'être sous les Perses », affirme Seif, faisant observer qu'à cette période, la zone n'a pas connu une véritable extension. Par contre, les spécialistes relèvent les traces d'un développement extra-muros à partir de l'époque hellénistique. À ce niveau, une grande habitation à deux étages détruite par un incendie a été mise au jour. L'espace a été ensuite laissé à l'abandon avant d'être réinvesti, à l'époque romaine, par un complexe industriel, doté de nombreux bassins et fours qui ont connu plusieurs phases de réaménagement. La forme et la disposition de ces fours, ainsi que l'analyse des résidus trouvés au fond des bassins laissent supposer qu'il s'agit d'ateliers pour la teinture des textiles... Mais le responsable à la DGA reste prudent en attendant le résultat des recherches. 
À l'époque byzantine, la structure industrielle cède la place à une zone d'habitation, genre de villas à deux étages, composées de plusieurs chambres dallées de mosaïques dont une pièce dotée d'une cheminée. Divers matériaux, notamment des jarres en bronze et des lampes à huile gravées de croix, y ont été découverts. Assaad Seif indique que ces constructions ont été détruites par un incendie et que les charpentes à moitié calcinées et les décombres des étages écroulés sont toujours in situ. Les lieux n'ont pas été nettoyés, ni réoccupés, mais totalement abandonnés après le sinistre « . Quant à la séquence qui a suivi l'époque byzantine, elle a été entièrement effacée lorsque les bulldozers se sont mis en mouvement pour raser les bâtiments des années cinquante.
Le sous-sol regorge également d'histoire, côté Beyrouth 184, au nord-ouest du tell. Lors des travaux d'infrastructure lancés par Solidere en vue d'aménager une place publique au pied de la citadelle des croisés, les ouvriers découvrent des traces de vestiges et alertent la DGA. Les archéologues Fady Beayno et Hadi Choueiri pilotent alors les excavations, mettant en évidence un dallage de l'époque ottomane et des murs fortifiés avec des colonnes en boutisse, datant de la période des croisés. Les spécialistes cherchent maintenant à savoir si ces murs, situés au niveau du port ancien, appartiennent aux structures portuaires ou s'ils font partie de la citadelle. Assaad Seif affirme que les vestiges dégagés seront intégrés dans le projet de la société immobilière. 

L'énigme Riad Solh

 

Une vue du site des fouilles, place Riad Solh.


Place Riad Solh, l'équipe de Christine Matar continue d'explorer le sol du « Landmark », un terrain d'une superficie de 7 600 m2 sur lequel s'élèvera le mégabâtiment de l'architecte français Jean Nouvel. Les opérations ont abouti à la mise au jour d'un mur mesurant plus de huit mètres de large et six mètres de haut, construit avec des grosses blocs de pierres. D'après les sondages, il a une structure tentaculaire allant au-delà du terrain, vers l'Est sous le bâtiment du Grand Théâtre, et à l'Ouest sous l'Escwa. Les investigations géophysiques ont d'ailleurs certifié la présence de son prolongement sous le jardin Riad Solh. Sa datation, de la première moitié du Ier siècle après J.-C., correspond à la période de la pax romana, une ère de relative tranquillité, pendant laquelle l'empire n'a connu ni guerre civile majeure ni invasion. Par conséquent, explique Seif,« la plupart des villes et des métropoles romaines n'ont pas érigé des murs de fortification. Nous n'avons aucune mention historique d'une telle construction romaine à Beyrouth, aussi allons-nous étendre les fouilles sur tout le terrain pour savoir si l'ouvrage fait partie d'une muraille ou s'il appartient à un grand bâtiment ». Entre-temps, le site a livré le fragment d'un buste en marbre (15 cm), portant l'inscription du nom du philosophe grec Isocrate, et une soixantaine de tombes byzantines et omeyyades ainsi que des structures datant de l'époque des Mamelouks (murs de séparation, une petite route). « Cet espace funéraire ne sera réinvesti par des constructions qu'à partir de l'époque des émirs », signale le responsable de la DGA. 

Des bains privés 
Wadi Abou Jmil continue de dévoiler ses dessous antiques. Menant leurs investigations dans la partie est de l'hippodrome romain, la DGA et l'équipe archéologique de l'Université d'Amsterdam ont retiré du sol de nouvelles structures architecturales, dont la fonction n'a pas été encore définie par les spécialistes. Rappelons qu'en 2008, le sous-sol avait livré les principaux éléments architecturaux de l'hippodrome antique : les gradins, la spina et les sections de colonnes (ou tambours), qui supportaient vraisemblablement les statuettes ornant la spina, et le toit abritant la tribune. L'ensemble des vestiges se déploient sur une parcelle de terrain de 3 000 m2 appartenant à Solidere. Tarek Mitri et Tammam Salam, anciens ministres de la Culture, ont fait usage de leur droit pour conserver le site. De même, « des bains privés » pouvant appartenir à l'hippodrome romain ont été déterrés dans le périmètre, sur la parcelle où se construit le Wadi Grand Residence, propriété de Ven.Invest, société dont les actions sont détenues à 94 % par le groupe Kabchi et à 6 % par la holding ABS. Ils ont été démontés et rangés dans les dépôts de la DGA en attendant la fin des travaux pour être ensuite intégrés au projet. 
Gemmayzé, aussi, n'en finit pas de se raconter. Du lot Medawar O2, appartenant au groupe CGI, des vestiges d'habitations datant de la période romaine et d'installations hydrauliques - dont on ne connaît pas encore exactement la fonction - ont été exhumés. 
Du côté de l'avenue Georges Haddad, près du restaurant Le George, les fouilles dirigées par Hadi Choueiri et Freddy Richani ont mis au jour un autre pan de la muraille hellénistique. Contrairement à la partie qui se dresse dans le jardin de Paul, celle-ci présente des signes de réfection datant des IIe et IIIe siècles. « Elle aurait été restaurée et réutilisée à l'époque romaine. »
Un mur romain a été également identifié dans le quartier de Saifi Village, près de l'église des arméniens-catholiques, et des vestiges du néolithique (des outillages, des foyers et un dépotoir d'ossements d'animaux et de pierres) ont été découverts sur un chantier d'infrastructure, à l'intersection de Béchara el-Khoury-Basta.
Tout en collant à la modernité, Beyrouth reste la vitrine d'une exceptionnelle diversité de civilisations et une mine archéologique inépuisable...