Archéoentomologie funéraire

 

Quand l'entomologiste fait mouche

 

Isabelle Castéra

Source : http://www.sudouest.fr/2011/02/06/quand-l-entomologiste-fait-mouche-310908-726.php

 

A Talence (33), Jean-Bernard Huchet, chercheur au CNRS, est archéo-entomologiste. Il suit les mouches et développe une spécialité presque unique au monde « Archéoentomologie funéraire ».

 

Peut-être collectionnait-il les papillons quand il était enfant. Non, parce qu'il n'aime pas les papillons, il leur préfère les coléoptères, scarabées aux crochets vernis. Jean-Bernard Huchet assure que sa passion pour les insectes l'a accompagné depuis toujours. Il n'imaginait pas qu'un jour, il suivrait les pattes des mouches et autres insectes nécrophages pour en faire une science. Au-delà de l'obsession, Jean-Bernard, du laboratoire d'anthropologie Pacea (Bordeaux 1, CNRS) développe une spécialité presque unique au monde : « Archéoentomologie funéraire ».

Voyons un peu comment ça lui a pris… « Tout petit, j'étais passionné de préhistoire et d'insectes. J'ai fait mes études, un DEA en anthropologie suivi d'un doctorat en entomologie. Puis, j'ai assisté à la découverte d'un sarcophage du Xe siècle, attribué à un membre de la famille des comtes de Toulouse. À l'intérieur, une foultitude de restes d'insectes. Ce fut ma première étude qui associa entomologie et anthropologie. »

Les Experts au labo

Tout chercheur a l'âme d'un flic. Jean-Bernard Huchet ne s'en cache pas. Il faut une patience et un désir d'apprendre chevillé au corps pour découvrir ce que les pupes de mouches ont à nous révéler. Les pupes sont les cocons abritant l'asticot avant sa mutation en insecte volant. Dégoûtant. Tout le monde sait et n'aime pas savoir d'ailleurs que les insectes se jettent sur les cadavres encore chauds pour les dépouiller jusqu'à l'os. Ces insectes, dont on retrouve des traces dans les sarcophages, deviennent pour le chercheur entomologiste une source d'information inouïe. Ils nous racontent ce que le vieux mort a ingéré, si on l'a exposé à l'air libre, combien de temps, quand il est mort, comment. Autant d'informations qu'il aurait été impossible de savoir, avant cette investigation policière. « On a résolu quelques questions qui étaient restées en suspens, souligne le chercheur. Exemple avec ces perforations des os, on a ainsi mis au jour le fait que l'altération de certains restes humains provenait du comportement ostéophage de certains insectes, les termites par exemple. »

Jean-Bernard Huchet travaille sur Pompéi, où la présence d'insectes figés lors de l'éruption du Vésuve, raconte quels parasites infestaient les denrées antiques stockées.

Il a aussi investi un site archéologique au Pérou, et gratte le sol d'une tombe vieille de plus d'un millénaire au sein de la civilisation Mochica. « En observant les insectes, on a eu la preuve scientifique que certains morts étaient exposés à l'air libre un mois, avant d'être enterrés. On apprend sur les pratiques funéraires, la saisonnalité du décès, sur l'état sanitaire des populations. »

Médecin légiste

Sur les étagères de son labo bordelais, le chercheur stocke quelques incroyables mallettes. Encore des collections d'insectes épinglés. Ceux-là sont des témoins, vieux de milliers d'années, ils ont été observés sur tous les angles, mesurés, sondés, analysés. « Un vrai boulot de médecin légiste, sourit le chercheur. En fait, je ne fais rien d'autre qu'une application de l'entomologie médico-légale à l'étude de restes humains, dans le contexte archéologique. L'Institut de recherche criminelle fait la même chose à Paris sur les corps de nos contemporains… Moi je fais ce boulot sur des milliers d'années. »

Jean-Bernard Huchet travaille aussi avec le Muséum national d'histoire naturelle de Paris.