2012 :les prophéties mayas

Dernière année avant la fin du monde ?

Que va-t-il nous tomber sur la tête le 21 décembre 2012 ? Le spécialiste d'archéologie précolombienne Éric Taladoire nous dit tout.

Propos recueillis par Victoria Gairin

Source - http://www.lepoint.fr/grands-entretiens/derniere-annee-avant-la-fin-du-monde-21-12-2011-1410754_326.php

Année fatidique... À en croire la déferlante de rumeurs qui irradie le Net, il faut s'attendre au pire le 21 décembre 2012. Pire que 1999, qui échappa de peu à l'anéantissement de Paris prédit par le grand couturier Paco Rabanne ? Que 2000 qui faisait frémir geeks et millénaristes ? Que 2008 dont la mise en route de l'accélérateur de particules du Cern annonçait une catastrophe quantique capable d'avaler la planète tout entière ? Pis encore ! Cette fois-ci, c'est la bonne, on va tous mourir. C'est du moins ce qu'augurent une poignée d'illuminés, tapis derrière les prophéties mayas pour créditer leur oracle et semer la terreur sur la Toile. Le spécialiste d'archéologie précolombienne Éric Taladoire (1) revient sur l'histoire d'une vaste escroquerie. Et tente de rassurer les plus superstitieux...

Le Point.fr : Depuis quand craint-on la fin du monde en 2012 ?

Éric Taladoire : Depuis 1987 et la sortie acclamée du Facteur maya, best-seller de l'Américain José Argüelles vendu à des milliers d'exemplaires à travers le monde. C'est lui qui a annoncé la mauvaise nouvelle que tous les chercheurs avant lui s'étaient, disait-il, bien gardés de dévoiler. Dans son livre, il révèle que le 21 décembre 2012 mettrait un terme au calendrier maya. Pas la veille, pas le lendemain. La date est précise et envahit en quelques mois quantité de sites et de blogs, tel un virus de la pire espèce. L'ironie du sort, c'est qu'Argüelles est mort en mars dernier. Sans avoir eu le temps de vérifier ses prédictions...

Celles-ci ne sont pourtant pas infondées. Argüelles s'appuie sur des inscriptions mayas. Des faux ?

Ces textes sont parfaitement authentifiés. Il y a en fait deux sources. D'une part, les inscriptions qui figurent sur certains monuments - qu'il nous est encore assez difficile de déchiffrer. D'autre part - et c'est à cela que la plupart des théories se réfèrent -, ces textes que l'on appelle Chilam Balam et qui ne sont autre chose que des manuels d'astrologie ou la continuation des célèbres codex mayas.

Que trouve-t-on dans ces livres ?

Comme dans un grimoire, des prédictions astrologiques bien sûr. Mais pas seulement... Il y a aussi des recettes, des indications sur les vertus des plantes médicinales, des anniversaires, des dates de naissance, les années d'accession au pouvoir des rois ou des dirigeants. En tout, il nous est parvenu sept ou huit de ces textes présents dans tout le monde méso-américain. Le plus connu reste le Chilam Balam de Chumayel (superbement traduit en 1955 par le surréaliste Benjamin Péret), mais en fait, chaque village, chaque cité avaient le leur. On a aussi celui de Mani, de Tizimin, de Kaua, d'Ixil... On pouvait y lire des propos comme : attention, ceci est un mauvais jour. Il faudrait effectuer tel rituel pour prévenir le danger. Je caricature à peine. Dans l'ensemble, des traditions orales transmises dans les villages de génération en génération et consignées par des lettrés à l'arrivée des Espagnols.

Des textes qui évoquent précisément 2012 ?

Les charlatans de la fin du monde se basent uniquement sur le Chilam Balam de Chumayel. Et encore, sur une partie seulement. Il faut savoir que, dans le système maya, il y a différents facteurs temps. Comme chez nous, il y a le jour et l'année, kin et tun. Mais aussi le katun, soit une période de 20 ans, le baktun, 144 000 jours, et ainsi de suite. Le rôle des astrologues dans la civilisation maya, c'est précisément de prévoir qu'en telle année il pourrait se produire tel ou tel événement, au regard de ce qui a pu se produire par le passé. Tous les 20 ans, par exemple, on risque de voir se reproduire une mauvaise récolte, une invasion d'insectes, une tempête, une bataille... Or, le 21 décembre 2012, selon certains calculs, 3 114 ans exactement se seront écoulés depuis le début du calendrier maya, c'est-à-dire une période de 13 baktun, soit 13 fois deux millions de jours. Pour les Mayas, le monde tel qu'ils le connaissaient, avec ses structures, ses cités, ses prêtres, ses divinités, va changer.

Changer ou s'anéantir ?

C'est justement là qu'il y a erreur. S'il y a une chose que José Argüelles semble avoir totalement occultée, c'est que la pensée méso-américaine est bien une pensée cyclique. Comme dans une spirale, les cycles mayas ou aztèques, pour ne parler que d'eux, se succèdent dans une perspective de durée infinie. C'est un renouveau. La fin d'un monde, et non pas la fin du monde.

D'où vient cette appréhension particulière du temps ?

Des mythes, probablement. Prenons les Toltèques, par exemple, et leur dieu Quetzalcóatl. Ce jeune guerrier élimine tout ce qui lui est hostile, crée la civilisation de Tula, instaure les sacrifices humains, apporte la civilisation. Puis il devient âgé, gros, pacifique, préfère sacrifier des cailles ou des papillons plutôt que des hommes. Et un jeune dieu, Tezcatlipoca, vif, belliqueux et trompeur, arrive et détruit Tula pour prendre le pouvoir à son tour. Du coup, Quetzalcóatl fuit à l'est. Or, quand les Espagnols arrivent (de l'est justement !), ils ne sont rien d'autre, aux yeux des Aztèques, que le présage annonciateur du retour de Quetzalcóatl, le signe qu'un nouveau cycle va arriver. Le travail des astrologues consistait à répertorier ces changements. À telle date, telle cité a été envahie. Attention, cela pourrait se reproduire dans 20 ans... C'est ce que nous indiquent les Mayas pour le 21 décembre 2012. Sans pour autant nous annoncer un cataclysme.

Les Mayas contemporains sont-ils toujours aussi férus d'astrologie ?

Absolument. Vous avez dans certaines régions des syncrétismes très impressionnants. Même officiellement convertis, certains ne se privent pas de placer dans les églises des figurines de divinités et de procéder aux rituels pour se prémunir d'un potentiel danger. Mais attention, il faut bien distinguer les véritables coutumes des pratiques new age qui font tant d'adeptes outre-Atlantique.

Que pensent les Mayas de ces prédictions ?

Pour 95 %, ils s'en foutent royalement. Mais je pense que cette indifférence vient essentiellement du peu de considération que les théories alarmistes accordent à la civilisation maya elle-même et à son interprétation. Le film de Roland Emmerich en est une illustration parfaite. Dans 2012, en effet, vous avez vaguement deux photos de Mayas Tikal allongés par terre, puis on passe à Washington, Los Angeles, aux images apocalyptiques. Cette utilisation d'une culture pour légitimer de sombres thèses est une imposture. Mais la vérité, c'est que les Mayas sont bien davantage occupés à se battre pour que leurs oranges vendues à Tropicana ne comportent pas la mention Provenance : Floride qu'à s'inquiéter de la fin annoncée. Et le 21 décembre 2012 leur donnera certainement raison...

(1) Éric Taladoire a publié Teotihuacan et les Mayas. Catalogue de l'exposition "Teotihuacan, la cité des dieux", musée du Quai Branly, Somogy, éditions d'Art, 2009, Le pillage archéologique en Méso-Amérique et le marché de l'art précolombien, dans Halte au pillage, éditions Errance, 2011.

VIDEO = Pennmuseum = http://www.youtube.com/watch?v=i7yypVSvQtY