Qui étaient vraiment nos ancêtres ?

François Reynaert

Source - http://tempsreel.nouvelobs.com/le-dossier-de-l-obs/20120808.OBS9193/dossier-qui-etaient-vraiment-nos-ancetres.html

Rendues obligatoires depuis dix ans, les fouilles archéologiques préalables à tous travaux d'aménagement révèlent des facettes inattendues de l'histoire de France.

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bbb François Roca pour le "Nouvel Observateur"

Longtemps négligée en France, l'archéologie connaît un renouveau spectaculaire depuis que la loi oblige tous les aménageurs à laisser des spécialistes fouiller préventivement les sites sur lesquels ils prétendent bâtir. L'institut national de Recherches archéologiques préventives (Inrap), créé pour chapeauter ce travail, fête cette année ces dix ans d'existence. Dans son livre "On a retrouvé l'histoire de France" (Robert Laffond), Jean-Paul Demoule, archéologue, ancien président de l'Inrap et professeur de protohistoire européenne à l'université de Paris-I, propose une relecture de notre passé à la lumière des découvertes nouvelles. 

Dans votre livre, vous expliquez que l'archéologie préventive a changé le regard que nous avions sur le passé de notre pays. Pourquoi ?

- Cela tient à la masse extraordinaire de données qu'elle nous a apportée. Sur le territoire français, l'archéologie a longtemps été très en retard. Jusque dans les années 1970, elle était surtout aux mains d'amateurs, avec peu de moyens et peu de résultats. L'essentiel des sites qui étaient découverts lors des travaux d'aménagement était détruit. Une prise de conscience a eu lieu à partir de la fin des années 1970 et, finalement, l'archéologie préventive, institutionnalisée depuis dix ans mais pratiquée depuis plus longtemps, a révolutionné les connaissances en permettant de traiter de grandes surfaces : quand on intervient là où on va ouvrir une zone industrielle, on peut fouiller des centaines d'hectares et reconstituer tout un paysage, en y replaçant telle ferme, telle habitation par rapport à un village. C'était impossible auparavant.

Commençons le voyage par la préhistoire. Vous regrettez qu'on n'en parle pas assez : vous évoquez des « millénaires zappés ». Essayons donc de les connaître mieux. En quoi les travaux récents ont-ils fait évoluer notre connaissance ?

-Prenons la période la plus ancienne, le paléolithique : à l'époque, les hommes sont des chasseurs-cueilleurs. En travaillant à grande échelle, on a pu étudier les campements qu'ils installaient sur les bords des rivières et, grâce aux progrès des techniques utilisées pour analyser ce que l'on trouve restes d'animaux, éclats de silex, ossements humains -, on a pu affiner notre connaissance du mode de vie de ces populations, comprendre, par exemple, comment elles se nourrissaient. Elles avaient d'ailleurs une diététique bien meilleure que la nôtre. Leur régime alimentaire était très carné, mais la viande, venant du gibier, était moins grasse. A partir du néolithique, avec l'agriculture, l'alimentation, faite de bouillies végétales, devient plus sucrée : résultat, on voit apparaître les caries... [...]

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Tombe à amphores datant du début de la période romaine (Oisy-le-Verger, Pas-de-Calais). (Inrap) 

Profitons-en pour faire un grand bond dans le temps. A la fin de l'âge du fer apparaît, de l'Ecosse au Danube, une nouvelle civilisation : celle des Celtes, c'est-à-dire ces peuples que les Romains appellent les Gaulois. Là encore, l'archéologie change notre regard sur eux...

- En effet, trop de gens vivent encore avec l'image "primitivisée" du Gaulois, comme on l'a construite sous la IIIe République, vivant dans sa hutte au milieu de sombres forêts. C'était la vision de César, le vainqueur. La réalité est autre. Grâce aux fouilles entreprises sur les longs tracés d'autoroute, on découvre un pays très cultivé, très déboisé, parsemé d'un nombre important de grandes fermes magnifiques. Sur d'autres chantiers, on voit aussi des villes avec des rues se coupant à angle droit, de grandes maisons, de vastes bâtiments agricoles, des monnaies en or, en argent, en bronze qui dénotent un système élaboré. Dans le quart sud-est, les pièces étaient d'ailleurs alignées sur le denier des Romains, avec qui le commerce était intense.

Cela signifie donc que les Romains n'ont pas eu à "civiliser" une Gaule barbare ?

-Evidemment que non ! Avant même qu'ils n'arrivent, les Romains avaient déjà gagné la bataille culturelle, comme les Américains face aux Russes dans les années 1960, avec le rock et le Coca-Cola. A Bibracte - le mont Beuvray, dans le Morvan -, bien avant la conquête, les riches notables gaulois se font construire des maisons à la romaine. Partout, ils importent du vin, à une époque où l'on ne cultive pas la vigne. Certains envoient leurs fils faire des études à Rome. César, pour conquérir le pays, mène une guerre très dure et très sanglante, mais il faut peu de temps, ensuite, pour que les élites se rallient à Rome parce qu'elles y étaient prêtes mentalement. [...]

Le sens général de votre livre est de bousculer notre vision de l'histoire de France. Comment faudrait-il la réapprendre alors ? Devrait-on dire : "Nos ancêtres, les néolithiques ?"

-Notre ancêtre à tous, c'est Homo erectus. Ses traces les plus anciennes ont été retrouvées sur notre territoire à Lézignan-la- Cèbe, à côté de Béziers. Elles datent de 1,5 million d'années. Le général de Gaulle disait : « La France vient du fond des âges. » Au regard de la connaissance actuelle, ce fond des âges, c'est 1,5 million d'années. Peut-on pour autant affirmer que notre Homo erectus de Béziers était français ? Vous comprenez bien que j'essaie d'évacuer cette question par l'absurde. Pour moi, l'idée d'une « origine de la France » n'a aucun sens. Le territoire de la France ne commence à ressembler à l'actuel qu'à partir du XIIe siècle, la nation n'est formée qu'au moment de la Révolution française. C'est récent. Il faut arrêter de penser qu'il y aurait une « France éternelle », à l'identité immobile, que l'arrivée récente de populations extérieures viendrait bousculer. Sur le temps long, on voit les choses autrement, l'histoire est un long continuum de brassages, elle est une recomposition permanente.

Retrouvez l'intégralité de l'interview et du dossier "Qui étaient vraiment nos ancêtres?" dans "le Nouvel Observateur" du 9 août 2012.

Au sommaire :

- Préhistoire: au temps des premiers hommes

- La révolution néolithique

- Le Gaulois, cet être raffiné...

- Le Moyen-âge, temps du passage