L'art funéraire érotique des Mochicas

 

L'art funéraire érotique des Mochicas

Morgane Kergoat

Source - http://www.larecherche.fr/content/actualite-sapiens/article?id=27366 

 

Que font des objets érotiques dans d’anciennes tombes royales du Pérou ? Le plaisir sexuel était-il si important pour les Mochicas, un peuple ayant occupé la côte nord de ce pays du Ier au VIIIe siècle de notre ère, qu’ils l’auraient représenté jusque dans leur art funéraire ? Cela paraît pour le moins étonnant. Pourtant, impossible de se tromper, les cent trente-quatre céramiques qui ont été exposées l‘an passé au Musée du quai Branly montrent des actes sexuels avec un réalisme surprenant. S’agit-il pour autant de représenter des scènes de la vie quotidienne ?

 

Population précolombienne encore auréolée de mystère, les Mochicas sont parvenus jusqu’à nous en grande partie grâce à leur art, surtout des fresques et des céramiques mettant en scène des personnages humains. Leur culture n’étant pas fondée sur un système d’écriture, il a fallu étudier les images découvertes sur les sites archéologiques. Le Museo Larco de Lima a prêté sa collection de poteries érotiques au musée parisien pour permettre à Steve Bourget, archéologue canadien et commissaire de l’exposition, de faire découvrir à un nouveau public ses propres interprétations, où se mêlent sexe, mort et sacrifice.

À première vue, on ne voit sur les poteries que les représentations d’un acte sexuel, dont les détails permettent clairement d’identifier s’il s’agit d’un coït vaginal, d’une copulation anale, d’une fellation ou d’une masturbation. Pourtant des éléments conduisent Steve Bourget à penser que ces images sont la représentation d’un rite funéraire, accompli lors de la mort d’un haut dignitaire, en raison de la mise en scène de choses et d’êtres imaginaires : des hommes morts-vivants, des animaux anthropomorphisés, des humains aux organes sexuels disproportionnés. 
Dans la grande majorité des cas, la relation représentée est hétérosexuelle. Les copulations sont réservées à « Visage-ridé », un être surnaturel, toujours accompagné d’un iguane géant et anthropomorphe. Les relations stériles sont pratiquées par un personnage masculin portant les attributs d’un être transitionnel, c’est-à-dire à mi-chemin entre la vie et la mort, qu’il soit futur sacrifié (reconnaissable à son turban ou à ses liens aux poignets), borgne, homme au visage mutilé (sans doute à cause d’une maladie cutanée appelée leishmaniose) ou squelette. 
Ces relations stériles ont lieu le plus souvent dans un cadre symbolique où les quelques éléments de décor, peints sur les fresques et les céramiques, rappellent le caractère rituel de l’acte sexuel : des lignes horizontales représentent ainsi les temples à gradins (huacas), où avaient lieu les rites funéraires et les sacrifices humains, et des vagues symbolisent l’inframonde, où les morts renaissent. 
La pensée mochica est dualiste et symbolique. Elle n’hésite pas à combiner deux éléments, qu’elle considère comme opposés, en une même image. Par exemple les huacas figurent une montagne dont le sommet est le siège du pouvoir, mais aussi, à l’intérieur, l’inframonde aquatique. Ainsi, sont représentées en même temps la montagne et la mer, la vitalité et la mortalité, la sexualité procréative et la sexualité stérile…

Cette dichotomie systématique entre les actes vaginaux procréatifs, réservés à un être surnaturel et les actes non-vaginaux, stériles, effectués par un personnage masculin transitionnel, symboliserait un mélange des catégories au moment du passage d’un monde à l’autre. « Visage-ridé » viendrait s’accoupler avec une femme pour garantir la reproduction à l’échelle cosmologique et les morts-vivants inverseraient le sens de la relation sexuelle, pour mieux passer dans l’inframonde, où tout est symbolique et surnaturel.